Kommandos de femmes
le faisions, le froid et l’humidité, le fait de n’être ni vêtues ni nourries. Je voyais chez mes compagnes des signes de dépression physique et même mentale… La faim fait souffrir, mais une température glaciale est encore plus intolérable. C’est aux environs du 1 er novembre que tomba la première neige, et nous étions toujours à peine vêtues… Il y eut une vraie tempête de neige qui s’accumula sur plusieurs centimètres d’épaisseur et plus encore dans les parties basses du terrain. Ce n’était pas une partie de plaisir que de placer des mottes de terre dans la neige. Généralement, ce travail m’amusait plutôt, ressemblant un peu à un jeu de puzzle ; les mottes étant de tailles ou de formes différentes, il fallait les ajuster, mais dans la neige qu’il fallait commencer par balayer et surtout pendant le dégel, on travaillait dans la boue glacée ; elle formait partout des mares, mais nous devions placer les mottes quand même en plein dans ce bourbier. C’était stupide. Bien entendu, le travail était mal fait et le terrain que nous étions censées niveler était au contraire tout bosselé. L’Allemand en civil qui nous surveillait et qui était à peu près convenable ne pouvait rien dire. Il savait qu’il était impossible de faire mieux dans des conditions pareilles.
— Le travail en forêt fraie la voie d’accès au camp d’aviation.
— Nous tracions une route à travers la forêt, elle devait rejoindre le camp d’aviation. C’était une large route qui, partant de l’extrémité de l’immense terrain, ondulait à travers la forêt pour rejoindre le camp à l’autre bout. Cette route servait à évacuer des avions et, à intervalles réguliers, on y construisait de grands hangars. Ils étaient soigneusement camouflés parmi les arbres, de façon à ne pas être découverts par les bombardiers ennemis. Le pays était montagneux, et il fallait que la route fût plane, ce qui forçait à retirer de la terre aux endroits élevés pour la verser dans les parties basses. Le premier travail pour la construction de cette route était fait par des ouvriers volontaires, des paysans russes, des familles entières d’hommes, femmes et enfants, qui abattaient les arbres et les enlevaient à l’aide d’attelages de chevaux. Nous les voyions tous les jours, ils nous dévisageaient. Ils avaient l’air bien portants et étaient chaudement vêtus ; chaque soir, ils rentraient à leur foyer. Nous n’étions pas de la même espèce.
— Les arbres étant abattus et emportés, nous devions déterrer les souches : elles étaient si grosses que le chef nous mettait à six ou huit par souche. Nous disparaissions petit à petit, avec nos pics et nos bêches, à mesure que notre trou se creusait et que la terre était rejetée en masse tout autour. Quand toutes les racines, sauf la principale, étaient enlevées, nous coupions celle-ci aussi profondément que possible, puis, toutes, nous saisissions le tronc, le faisant basculer en tous sens pour le sortir de son trou, puis nous le roulions sur lui-même jusqu’aux côtés de la route. Le travail était dur, mais pas désagréable, et il était possible, à quatre personnes travaillant ensemble sur un petit espace délimité, d’essayer d’oublier en causant.
— Une fois les troncs enlevés, si le terrain était élevé, nous devions creuser une tranchée au milieu de la route, une tranchée qui rejoignait le niveau de la route et qui variait de profondeur.
— Le fossé devait être assez large pour placer la petite voie ferrée et pour laisser passer de gros camions. La tranchée étant faite, nous posions les rails. C’était là le travail le plus pénible. Les rails étaient composés de tronçons d’acier et les boulons étaient d’acier également. Il fallait vingt femmes pour porter un tronc, mais peu pouvaient donner leur plein rendement.
— C’est en faisant cette besogne que je me demandais si je pourrais continuer à tenir. L’effort de saisir ces rails d’acier avec des mains glacées, de trébucher sur un sol bosselé avec des pieds gelés, de se courber sous un poids qui nous jetait souvent littéralement à genoux, cet effort était surhumain.
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— Un dimanche soir xci , la séance hebdomadaire d’épouillage en grand se termine. Je tue la dernière lente, juchée sur la maigre paillasse que je partage avec ma sœur. Soudain, un cri : « Bon anniversaire, Dominique ! », fuse
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