Kommandos de femmes
c’est une fanatique, et nous nous en apercevrons vite.
16 novembre : en sortant pour l’appel, vers cinq heures du matin, dans la nuit noire, nous avons trouvé le camp sous la neige. Les optimistes déclaraient que certainement nous n’irions pas travailler. Douce illusion. Nous partons comme d’habitude, courbant un peu plus la tête. Nous avons commencé à abattre les pins, avec des haches si lourdes ! Nous étions jambes nues, dans la neige, avec nos petites robes légères, et nous pleurions silencieusement, sans cesser notre corvée. (En décembre, on nous donnera des bas en laine synthétique.) Je revois Andrée Bellon, dans sa robe de velours violet, les doigts déchirés par le fer et tout bleuis… Je revois Raymonde Conseil, dont la maman était entrée la veille au revier, où elle devait mourir en février, et qui, dans sa souffrance, me répétait : « Heureusement que maman n’est pas là ! » À midi, la soupe est arrivée glacée, nous l’avons avalée debout, et nous avons repris notre travail tout de suite, nous demandant avec désespoir si cette journée finirait jamais. Le soir, la route était verglacée et nous tombions par files entières. Enfin, nous apercevons les barbelés du camp ; nous allons pouvoir nous réchauffer un peu. Hélas… la commandante juge bon de nous faire rester en appel devant les blocks. Deux, trois heures, nous n’en savons rien. Mais lorsque, enfin, nous pouvons entrer dans nos chambres, nous pleurons toutes et nous nous demandons, pour la première fois, avec angoisse, si nous tiendrons jusqu’au bout.
… Il neige sans arrêt et nous travaillons toujours…
Le bois qui offrait un si beau décor en octobre est maintenant sinistre. Les pins sont encore verts » mais les autres arbres ne dressent plus que des branches décharnées et les troncs des bouleaux, avec leur écorce livide tachée de noir ressemblent aux jambes couvertes de plaies et d’ulcères de la plupart d’entre nous.
Fin novembre : la commandante s’est enfin rendue compte que nous étions couvertes de poux, et a décrété un épouillage général. C’est aujourd’hui le tour de notre chambre et nous nous en réjouissons, car cela représente une journée de repos complet au block. Après l’appel, nous faisons un paquet de nos vêtements qui sont emportés à l’étuve. Nous restons donc absolument nues ou drapées dans des couvertures prêtées par les chambres voisines. Nous avons fait des provisions de bois et le poêle ronfle. Nous y faisons chauffer à tour de rôle des gamelles d’eau et nous lavons le corps, ce qui ne nous est pas arrivé depuis bien longtemps. Quelle joie d’être au chaud, sans rien faire, presque propres ! À midi, la blockowa nous sert la soupe dans notre chambre ; c’est une soupe d’orge, assez épaisse, qu’en France on donnerait aux canards, mais que nous trouvons exquise… Nous apprenons ainsi que les femmes qui restent au camp et ne font qu’un travail léger sont beaucoup mieux nourries que celles des chantiers. L’explication en est très simple : la soupe se prépare dans de gros autoclaves et les filles de cuisine, toutes Polonaises, remplissent à l’aide d’un seau, les tonneaux qui vont ravitailler les travailleuses de l’extérieur. Elles ne versent donc que de l’eau et conservent soigneusement le fond des tonneaux où se trouvent l’orge ou les légumes. Il n’y a aucun contrôle et les cuisinières sont grasses à souhait. Deux Françaises seulement travailleront aux cuisines, mais elles devront toujours se contenter des gros ouvrages. Les Polonaises sont les maîtresses et défendent à coups de poings leurs prérogatives. Quelle rage en croisant ces filles bouffies qui toisent dédaigneusement notre armée de squelettes !
C’est pendant cette journée d’épouillage que nous constatons notre maigreur. Je remarque une femme décharnée, sans voir son visage. Qui est-ce donc ? Elle se retourne : c’est Liliane, une grande fille plutôt trop forte à notre arrivée ici. Je suis horrifiée et interroge Denise avec angoisse :
— Est-ce que je suis aussi maigre qu’elle ?
Denise fait la moue :
— Oh, pas tout à fait !…
Le soir tombe et nos vêtements sont toujours à l’étuve. Annie nous informe que nous resterons encore au camp le lendemain. Explosion de joie ; les squelettes dansent et sautent dans la chambre…
La seconde journée de repos fait nettement remonter le moral de la
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