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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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de tous les coins de la chambre. C’est vrai, j’ai vingt-cinq ans. Ici, on perd la notion du temps, et cette constatation me laisse tout étourdie. Mais que vois-je sur la table ? En grande pompe, on m’y mène. Vingt-cinq tranches de pain largement enduites de margarine, y dessinent un cercle, au centre duquel s’élève un monticule de tartines. Sur chaque tranche, une rondelle de carotte, d’un effet très décoratif, sert de support à une minuscule bougie de papier. Quel beau gâteau d’anniversaire ! Nul ne me fit autant plaisir ; aucun ne me causa de joie si douce.
    — Autrefois, dans une autre vie me semble-t-il, j’avais connu les fêtes familiales accompagnées d’un bon repas, de fleurs, de cadeaux, de vraies bougies qu’il fallait souffler toutes ensemble. Ici, règnent la misère et la faim. Et pourtant mes quarante-huit camarades se sont privées d’un peu de leur strict nécessaire pour me montrer leur amitié. Les tartines sont épaisses, et la margarine n’a pas été ménagée. J’en ai les larmes aux yeux, et ne sais comment remercier. J’embrasse de tout cœur ma petite sœur, inspiratrice et réalisatrice de la collecte, je le devine, et les quarante-sept compagnes de misère dont le geste amical m’a tant émue. On peut trouver la joie partout, même au camp de concentration, et je me suis couchée heureuse, ce soir-là.
    — Pendant au moins trois jours, je n’ai pas eu faim.
    Quand xcii la neige recouvrait abondamment les pistes on nous forçait à la piétiner pour la tasser, pendant des heures. Des heures. On distribuait la soupe dans un bas-côté : interdiction de la manger sur place, nous devions grimper un monticule, et comme la terre était argileuse, nous glissions, il ne restait pas grand-chose dans notre gamelle.
    *
    * *
    1 er novembre xciii  : surprise ce matin : après la dernière barrière, nous tournons le dos à l’aérodrome et partons à gauche, sur la route… Il y a plus d’une heure que nous marchons lorsque nous atteignons l’orée d’un bois, un très beau bois où, en ce jour de Toussaint, le vert sombre des sapins s’éclaire du vert argenté des bouleaux avec par places les taches rouge et or de feuillages inconnus. Que diable allons-nous faire là ?
    Le feldwebel qui nous accompagne nous remet à un individu en civil, le « meister » qui nous a louées. C’est un pur nazi, qui arbore insigne du parti et brassard à croix gammée. Il est baptisé « le gorille » et son adjoint « le squelette ». Inutile de les décrire davantage… Ces deux hommes qui, paraît-il, nous paient très cher à la direction du camp, veulent en avoir pour leur argent. Ils vont exiger des femmes affaiblies, sans nourriture et sans vêtements que nous sommes, un travail que bien des terrassiers de métier auraient refusé. Il y a parmi nous des femmes de cinquante, soixante et même soixante-quinze ans, qui vont devoir manier le pic et la pelle huit à dix heures par jour, par 25 ou 30° sous zéro.
    Ce premier matin, notre travail consiste à rouler des troncs d’arbres pour déblayer un large espace de terrain.
    Le lendemain, c’est un autre genre de sport : il faut remonter du fond d’un ravin où ils sont ensevelis sous les feuilles d’automne, des wagonnets genre « Decauville ». Quatre femmes pour soulever ça… Rien à faire. Le meister hurle, nous menace de son gourdin. À six, nous réussissons, au prix d’efforts qui nous arrachent les reins, à remonter quinze ou vingt wagons, mais le soir, après les cinq kilomètres pour regagner le camp, nous avons à peine la force d’avaler notre tranche de pain.
    Denise m’a rejointe à la colonne « sonderwald ». Nous avons installé des rails et hissé nos wagons dessus. Il paraît que nous allons abattre des arbres…
    Ce soir, notre groupe s’est installé dans la chambre 2. Denise a enlevé de haute lutte un lit, près du poêle que nous allumons avec des bouts de bois rapportés de la forêt. L’autre partie du block est occupée par des soldates russes et des déportées polonaises. Annie, la blockowa, est Allemande, mais a été mariée à un Français ; on ne l’aime pas, mais elle est « régulière » . Le commandant est parti ; il est remplacé par une femme S.S., grande, mince, dont l’air de cruauté implacable nous impressionne. Elle est assistée d’un feldwebel aussi sinistre qu’elle. Nous savons bientôt que cette femme est depuis quinze ans dans la S.S. ;

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