Kommandos de femmes
arrêter ma machine quand elle était déréglée. La fraise se cassait et j’appelais en criant le meister. Quand il arrivait c’était trop tard. De temps en temps je déréglais moi-même la machine et les meisters hurlaient que les Françaises étaient de lamentables ouvrières. La machine derrière la mienne, sur la même estrade, était tenue par une amie française, professeur de lettres, nous discutions longuement… Elle composait des poèmes et nous cherchions la rime.
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— Nous revenions c de notre travail. Tout à coup, une jeune fille sort du rang comme une folle et se précipite dans les rangs d’hommes nous croisant qui se rendaient au travail. La kapo la rattrape, la tire par les cheveux, la frappe à coups de gourdin et lui fait réintégrer les rangs. Appelée auprès du kommandant, elle a dû justifier sa conduite : « C’était mon père ! C’était mon père ! »
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Notre groupe ci est très homogène car nous avons la chance de nous être connues et de nous suivre depuis Romainville. La plupart de nos compagnes avaient été arrêtées par la gestapo ou la milice quelques semaines, parfois même quelques jours avant la déportation. Il en était autrement pour une soixantaine d’entre nous, arrivant de la Centrale de Rennes et emprisonnées depuis déjà des mois et même des années. Cette longue période de détention, durant laquelle nous avions toujours réussi à maintenir le contact avec la lutte qui se poursuivait au-delà des murs de nos prisons, nous avait aguerries et dotées d’une expérience précieuse concernant l’organisation de notre vie de recluses.
La rencontre et la fusion, à Romainville, des détenues anciennes et nouvelles fut bénéfique pour toutes. Pour celles qui n’avaient connu que le prélude de la lutte libératrice, il était exaltant de constater par l’éventail social très large de nos compagnes, l’ampleur prise en France, au cours de la dernière période, par l’armée de la nuit. Quant aux nouvelles arrivantes encore traumatisées par les interrogatoires et les tortures subies, par l’arrachement à leur milieu familial, elles reprenaient force et courage en nous voyant si confiantes, si dynamiques et enjouées malgré une aussi longue période de privation de liberté. Ensemble nous avions constitué un comité clandestin du Front National qui fonctionnera jusqu’au bout.
À Leipzig, la liaison avec l’ensemble des Françaises se fait par l’intermédiaire des responsables de groupes qui comptent de quinze à vingt membres. La solidarité pour les plus faibles est organisée. Nous établissons le contact avec les prisonniers de guerre français qui réussissent à nous faire parvenir des aiguilles, du fil, du dentifrice et même – trésor inestimable – des livres. À la fin notre petite bibliothèque clandestine comptera une cinquantaine d’ouvrages.
Nous poursuivons aussi le combat dans les conditions nouvelles qui sont les nôtres : pour marquer notre réprobation du travail forcé auquel nous sommes astreintes, nous décidons unanimement de refuser les reichmarks distribués de temps à autre par les contremaîtres, et donnant accès à de rares suppléments de nourriture. Et cependant, nous avions faim ! Le sens de notre refus est si bien compris des S.S. qu’ils se livrent à des représailles sur de nombreuses de nos camarades.
De façon concertée, les équipes dans les différents ateliers freinent le travail et le sabotent le plus possible.
Nous nous préparons aussi à faire front aux derniers soubresauts de la bête nazie. Le front se rapproche de Leipzig et les bombardements sont de plus en plus fréquents. Nos doctoresses et notre pharmacienne organisent des cours de secourisme et pendant les bombardements nous avons nos équipes en place, prêtes à intervenir pour venir en aide aux blessés.
— Ces cours cii bien spéciaux et précieux se déroulaient dans les caves (et clandestinement). Nous faisions du brancardage. Le brancard était de fortune : deux balais, un manteau et une couverture. Mais la patiente était une vraie patiente qui ne devait pas toujours être rassurée, aux virages dans les escaliers et au commandement : « À l’épaule ! » Nous avons également expliqué à celles qui ne savaient pas, comment faire les piqûres… Hélas ! Nous n’avions pas de seringue. Il en fallait plus pour nous arrêter. Notre amie Soisic a dessiné sur le ciment de la cave une
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