Kommandos de femmes
énorme seringue en pièces détachées et a manié… « spirituellement », pourrait-on dire la chose dessinée ! Nous avons pratiqué la respiration artificielle et nous avons eu à nous servir de ces conseils précieux lors d’un bombardement sur le camp, pour ranimer ou essayer de ranimer des compagnes ensevelies sous les décombres. À la fin de chaque séance, il y avait les « colles » pour savoir si la leçon avait été retenue ou comprise.
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Pour ciii maintenir un moral élevé, nous organisons des causeries, des programmes culturels. Nous célébrons les anniversaires et fêtes de chez nous.
Tel ce Noël 1944, le dernier Noël que nous avons passé au camp et que je voudrais évoquer ici pour tout ce qu’il a représenté de courage, de volonté de vivre, de foi en l’avenir et en la victoire contre le nazisme.
Le block des Françaises se trouve en bordure de la route dont nous ne sommes séparées que par une clôture de fils de fer barbelés électrifiés. De l’autre côté une prairie que nous avons vu fleurir puis faucher. Les dimanches nous pouvons voir les familles des environs venir se promener au grand complet, sans oublier bébé dans son landau, le long des grillages qui donnent au camp l’aspect d’une immense ménagerie où se meuvent d’étranges silhouettes zébrées…
Nous sommes encore là mais nous sommes remplies d’espoir car les nouvelles qui nous parviennent sont bonnes : les troupes françaises avec les armées alliées ont libéré l’Alsace, les Soviétiques poursuivent leur avance.
Françoise Babillot, une résistante de Bordeaux, écrit alors un poème qui fait revivre l’atmosphère dans laquelle nous vivions :
Sur le champ de luzerne, en face
Août scintille de mille feux,
Et des lièvres l’ont suit les jeux
Quand, triste, au soleil on rêvasse…
Que de projets, de rêves fous
Naissent de nos amours de femmes
Car disons-le bien haut mesdames,
Nous fêterons Noël chez nous !
Septembre vient qui souffle en brise
Nous surprend par sa rigueur
De l’hiver soudain l’on a peur
Tant il arrive par surprise !
Mes amies de quoi rêvez-vous ?
D’un âtre clair aux longues flammes…
Qu’il fait bon tirer les verrous !
Car disons-le gaiement mesdames,
Nous passerons Noël chez nous !
Cette phrase est sur toutes les lèvres, l’espoir est dans les cœurs, Noël, Noël, nous fêterons Noël chez nous !
Le vent de neige peut être glacial, les appels et les punitions peuvent se multiplier, rien ne parvient à éteindre la flamme qui nous réchauffe. Nous comptons les semaines et les jours qui nous séparent de la fête de famille traditionnelle.
Le block revit et s’anime malgré la faim, malgré le froid, malgré la neige qui, à cinq heures du matin, pendant les appels, nous enveloppe d’un linceul glacé.
Chacune veut ramener de cette terre d’exil, de souffrance et de mort un petit quelque chose à ses parents, à l’époux ou au fiancé que l’on espère bien retrouver avant que l’année ne s’achève. Même les plus âgées, les plus faibles ont leur pauvre visage maigre et terne qui s’est illuminé à cet espoir. Zimka, dans un morceau de paillasse en ficelle de papier taille et confectionne un étui à cigarettes pour celui que son cœur aime.
La fièvre gagne toutes les Françaises, il n’y a pas de temps à perdre, l’objet doit être fait très vite, car vous n’en doutez pas, n’est-ce pas, nous passerons Noël chez nous.
Novembre est là, et son frisson.
Le ciel est tout plein de détresse
Et n’a plus pour notre tristesse
L’aumône d’une gaie chanson…
Et l’on s’adresse avec souci
Un pauvre sourire de femmes
Car, disons-le tout bas, mesdames,
Passerions-nous Noël ici.
Dieu que le froid est froid ! Aux appels les silhouettes recroquevillées sont éclairées par un clair de lune blafard qui accentue encore les cernes et les traits tirés. On a beau essayer de s’abriter avec des bouts de loques informes, le vent passe partout, il pénètre les corps, il pénètre les cœurs. La petite flamme d’espérance s’est éteinte chez beaucoup. Dieu que le froid est froid, que la faim est atroce quand l’espoir n’y est plus ! Les troupes allemandes ont repris l’offensive, elles sont de nouveau en Alsace, elles sont dans les Ardennes. L’heure de la libération recule pour nous et il devient évident que nous passerons Noël ici. Il nous faut remonter la pente, ranimer le
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