Kommandos de femmes
bourreaux cv …»
C’est aussi Noël pour le groupe de quelques dizaines d’hommes récemment transférés à Buchenwald et qui vivent doublement prisonniers dans les baraquements entourés de fils de fer barbelés à l’intérieur du camp. Avec la complicité des soldats soviétiques travaillant dans les cuisines, nous leur faisons parvenir, dissimulés dans les bouteillons à soupe, les vivres que nous avons collectés pour eux entre nous ! Plus encore que le pain, la margarine, la confiture de betterave, ce geste est pour eux un message de solidarité et de fraternité, une bouffée de courage et d’espoir.
Ah qu’il fut beau notre Noël ! Comme il nous a aidées à surmonter cette passe difficile, à chasser le désespoir, à retrouver la force de lutter pour vivre.
Ce fut le dernier Noël au camp cvi .
Quatre mois plus tard nous étions libres et nous rentrions chez nous avec les fleurs et le printemps.
Mais hélas ! combien de Zimka n’ont pu remettre à l’être aimé, tombé sous les balles ennemies ou mort dans les camps, le petit souvenir fabriqué avec tant d’amour et de patience pour ce Noël « que nous devions passer, chez nous…».
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XV
SCHLIEBEN
La veille cvii du 1 er août, on appela les équipes disponibles de Leipzig-Hasag et quatre-vingts femmes solides furent choisies pour aller, disait-on, faire la moisson. Ce jour-là, j’eus vraiment l’impression d’être vendue comme esclave sur la place publique. On nous embarqua le lendemain dans trois camions qui nous menèrent, via Torgau, dans une localité nommée Schlieben dans la région de l’Elster, aux confins de la Saxe et du Brandebourg. Au-dessus de la petite ville, sur un plateau désolé, nous fûmes versées dans le camp le plus sordide que j’aie jamais vu. Nous y retrouvâmes, à notre grande horreur, les Gitanes de Ravensbrück. Nous étions quatre-vingts « civilisées » livrées à un millier de sauvages. Je connaissais les théories des Allemands sur les Tziganes : race à détruire, comme les Juifs. Nos Gitanes, raflées en Hongrie, en Autriche (surtout dans la région de Graz) et dans tous les cirques et boîtes de nuit de Berlin, avaient été ramenées d’Auschwitz et portaient leur matricule tatoué sur l’avant-bras gauche. Je n’augurais rien de bon de la corvée qui nous attendait en leur compagnie.
Derrière le plateau s’étendaient d’immenses bois de pins. On avait camouflé là-dedans une succursale de la Hasag qui fabriquait des « Panzerfaust » (grenades antichar). Usine montée de façon rudimentaire, sans aucune protection contre les vapeurs sulfureuses délétères qui empoisonnaient les travailleuses. Celles-ci étaient prises de vomissements, de crampes d’estomac et mouraient rapidement. J’eus la chance, une fois de plus, de travailler au grand air : nous chargions la marchandise finie dans les wagons, à raison, pour une équipe de vingt femmes, de trois wagons de trois cent soixante-quinze caisses par séance de travail. Puis je me spécialisai dans le déchargement des énormes camions de la « Reichsbahn » qui amenaient des caisses de soufre de 80 kilos. C’était terriblement dur, mais nous avions l’avantage de former une équipe volante et de glaner de ci de là quelques nouvelles. Je réussis à faire parler les contremaîtres allemands, qui nous prenaient pour des filles ou des criminelles (à cause du triangle rouge, couleur de sang). Je leur expliquai ce que nous étions, et ils nous confirmèrent la prise de Paris et le débarquement à Toulon. Des prisonniers de guerre français transformés en travailleurs libres, espèce méprisable à nos yeux de « politiques pures », faisaient fonction de chauffeurs. Ils nous glissèrent quelques vivres, parfois un journal et finirent par adopter certaines d’entre nous à titre de filleules. Tout cela était, bien entendu, strictement clandestin. La vie au camp était un combat perpétuel. Il fallait se battre avec la blockowa (une asociale allemande), pour avoir sa maigre part de nourriture. La policière en chef avait été condamnée pour brigandage. L’infirmerie était un pandémonium de Gitanes hurlantes et miaulantes. L’une d’elles, qualifiée du titre de Reine, déguisée en infirmière mais ignorant le premier mot du métier, traitait les blessées avec une grossièreté et une cruauté sans pareilles. J’appris plus tard, de la bouche du médecin civil de Schlieben, un nazi convaincu,
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