Kommandos de femmes
camarades derrière elle, mais elle ne voyait plus Armelle qui joignait les mains et répétait à la dompteuse :
— « Sie sind eine Frau. »
— « Eine Frau », hurlait l’autre.
Elle jetait Armelle par terre et lui labourait le bas-ventre et les seins de coups de pied, sans doute pour prouver qu’au moins sa qualité de femme lui permettait de connaître les endroits sensibles. Toutes, à Barth comme à Ravensbrück, s’acharnaient de préférence sur les seins, le bas-ventre ou le ventre et le haut du nez.
À bout cxvii de force, un cri m’échappe :
— Assez !
Ma voisine, travailleuse libre, se retourne et m’arrête :
— Tais-toi, elles vont la tuer.
En effet, ces femmes – doit-on leur donner ce nom ? – s’excitent à ce jeu infernal. Elles s’essoufflent dans leur effort meurtrier ; leurs yeux ont des lueurs de joie et leur visage, à chaque coup porté, trahit un plaisir bestial. La Panthère s’éloigne, et puis elle revient et frappe à nouveau ; le manège se répète jusqu’à ce qu’épuisée elle laisse tomber sa dernière matraque.
Elle décide alors de nous faire poser toute la journée.
— Du fond cxviii du rang, la voix de Dédée de Paris s’élève :
— Courage, on tient avec vous.
À treize heures (les femmes sont debout depuis la veille dix-sept heures) l’adjudant-chef des S.S. appela Noëlle (l’interprète) pour une explication et Noëlle traduit le sentiment général :
— Nous n’avons pas l’habitude d’être battues.
— Pauvres ! laisse échapper la S.S. Vous ne savez donc pas encore que vous êtes dans un camp.
Cependant elle laisse entendre qu’elle donnera des ordres pour qu’on ne nous batte plus sans raison. C’est la seule que j’aie entendu parler sur un ton égal, sans hurler.
Sur son ordre, nous rentrons ; nos énergies se détendent dans l’enceinte de notre étroite chambre et nous nous serrons toutes avec émotion. Pour un moment, nous sommes seules entre nous, entre femmes qui parlons et pensons la même langue, entre civilisées.
La chef de block polonaise va chercher secrètement une femme médecin russe, car on ne peut mener Cécile à l’infirmerie. La doctoresse examine ses bras et ses jambes et nous sommes soulagées d’apprendre qu’elle n’a rien de cassé. Ce sont les meurtrissures et les boursouflures des paupières qui l’empêchent de voir. Pour Armelle, les troubles sont internes et les derniers coups de pied dans le ventre ont provoqué une hémorragie.
La détente dure peu, mais nous abandonner à notre affection mutuelle, nous sentir unies et fortes du même courage et du même mépris de nos bourreaux, nous a rendu des forces. Il nous en fallait encore…
Au réfectoire, Armelle et Cécile sont privées de nourriture. On les fait sortir du rang, puis on les place le nez contre le mur du carrelage blanc qui étincelle, face au guichet de la cuisine.
Les gardiennes circulent derrière elles en leur envoyant un coup lorsqu’elles passent. Cette situation semble à Cécile intolérable. Recevoir un coup sans le voir est la plus rude épreuve, elle se sent à la merci de leur acharnement mauvais, victime privée de défense, jouet qu’une simple fantaisie peut briser. Les S.S. s’acharnent sur la partie droite du visage de Cécile qui est la plus tuméfiée ; elle tourne la tête un instant, une S.S. assise à la table des gardiennes, quelques mètres plus loin, s’empare d’une bouteille de vin pleine et fait mine de la lui jeter. Cette hystérique ébauche de geste a suffi, quel merveilleux instrument elle a découvert ! Menaçante, elle s’approche des deux Françaises, Cécile lui fait face, rapide, et l’Aufseherin applique un coup sur la tête d’Armelle, qui heurte le mur avec un bruit sourd. Toutes les Aufseherinnen se sont rapprochées, à la curée. Cécile n’était déjà plus une femme libre, elle sentait son sort lié à celui des dix-neuf autres Françaises. Elle a entraîné Armelle dans de tragiques aventures et elle sait qu’elle ne sera pas seule à payer. Il lui faut maîtriser le réflexe normal qui pousse à se défendre lorsqu’on est attaqué, sinon elle se serait à nouveau défendue, ses forces étant décuplées par la déloyauté des attaques et par la vilenie dont faisaient preuve ses assaillantes.
Elle leur crie, recevant un nouveau coup sur la joue :
— Assez, tapez ailleurs, je suis bleue partout.
Phrase malheureuse qu’elles se
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