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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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pour ne plus rien voir, je tremble, je sanglote, les poings sur la bouche.
    On m’appelle… La contremaîtresse me tire par le bras. Quoi ? Toucher ces cadavres ? Non, non je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne sens pas les coups ; je suis tombée, insensible. Le soldat conducteur de la charrette accourt, le fouet en l’air, suivi du S.S. brandissant la crosse de son fusil. L’instinct de conservation me relève, je m’approche, je prends à deux mains un angle de la couverture. C’est lourd… Le passage de la porte, avec les marches à monter, est difficile, quelque chose heurte ma jambe nue, je baisse les yeux que je tenais fixés au loin, c’est une tête qui ballotte hors de la couverture. Glissant, nous cognant parmi les tombes, nous atteignons la fosse béante, nous y jetons notre fardeau. Deux d’entre nous descendent pour ranger les mortes, tête bêche. Ce ne sont pas des petits garçons, mais des femmes mortes de faim. Deuxième voyage, nous rapportons la couverture ; sur une autre, deux mortes attendent jetées du haut de la voiture, l’une a les jambes noires, de gangrène. Troisième voyage… quatrième… Au cinquième, nous transportons une rousse au menton complètement vert. Je n’ai plus aucune réaction, même à la vue des cheveux collés à la couverture qui n’a ni endroit ni envers, ni des taches dont les corps en décomposition l’ont maculée. Tandis que quatre prisonnières vont enterrer dans le cimetière allemand les deux Allemandes que contenait le cercueil, nous recouvrons de terre les dix mortes, probablement Hongroises, alignées dans la fosse. Le S.S. nous bouscule, il a hâte d’aller dîner. Un bras, un morceau d’étoffe – elles sont si peu vêtues pourtant – s’obstinent à apparaître en dépit de nos efforts. Enfin, c’est fait… Du moins, une mince couche dissimule les cadavres, nous achèverons de combler la fosse demain. Une de mes compagnes, sortant du cimetière allemand me dit :
    « Chic, on rentre en voiture. »
    Nous nous asseyons sur le cercueil, nous nous cramponnons aux ridelles, et la charrette se met en route. Contentes d’être assises, satisfaites d’avoir terminé notre journée, nous bavardons, nous rions, nous chantons. Une Polonaise me demande, en allemand, si je n’ai plus peur.
    « Mais non, j’ai l’habitude maintenant. »
    *
    * *
    Zwodau c’est encore l’amitié :
    — J’étais cxxi seule. Je ne m’étais jamais liée à personne. J’étais jeune : dix-neuf ans et fille d’ouvriers, je n’étais jamais sortie de ma ville. À Zwodau, j’ai fait la connaissance de Gisèle qui aurait pu être ma mère… et qui l’est « devenue » depuis. Quand je parle d’elle aujourd’hui, je dis : « Gisèle, ma mère… ma mère de captivité », ce qui fait parfois sourire ; mais les gens qui n’ont pas subi notre calvaire ne peuvent comprendre. Cette femme, d’un milieu bien différent du mien, m’a pris sous son aile et je peux dire que c’est grâce à elle, par elle, que je suis revenue d’Allemagne. Elle a tout partagé, avec moi. Combien de fois ne m’a-t-elle pas donné son pain, ses pommes de terre et les trois quarts des rares colis qu’elle recevait en me disant : « À mon âge, on a moins faim qu’au tien. » Près d’elle j’avais le réconfort, la tendresse d’une mère. Elle avait un don exceptionnel pour nous remonter le moral, d’un mot, d’un sourire, d’un geste. Comme un jour, abattue, j’étais dans un coin à penser aux miens elle m’a giflée pour me faire réagir. Vers la fin, je voulais même me détruire en m’accrochant aux barbelés, elle m’a simplement dit : « Les tiens t’attendent. »
    Et après nous sommes parties en exode sur les routes. Là encore, elle m’a soutenue, ayant toujours une idée pour me réchauffer, me préserver du froid par des tas de trucs.
    Depuis notre retour, cette amitié existe toujours. Nous nous voyons le plus souvent possible. J’ai passé de nombreuses vacances près d’elle, avec son mari. Ils m’ont fait connaître de beaux coins de France. Et malgré ma famille – j’ai ma mère, un mari, une fille et même un petit-fils – quand le moral est bas, c’est encore vers elle que je vais. Elle seule me comprend. Elle seule sait. Et même sans rien « dire », seulement la sentir près de moi, ça va mieux. Une telle amitié, née dans la misère et la souffrance ne peut mourir qu’avec nous. Vous trouverez

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