Kommandos de femmes
font traduire.
— Ah ! vous êtes bleue partout, dit l’une, déshabillez-vous.
Cécile a compris. Quelle merveilleuse idée d’un nouveau divertissement leur a-t-elle donnée ? La battre nue, satisfaire à la fois leur cruauté et leur sadisme.
— Déshabillez-vous.
Cécile n’obéit pas, décidée à garder la protection de ses vêtements jusqu’au bout. Elle songe aussi que les Allemandes ont des appétits insatiables et des imaginations perverses, qu’en la rouant de coups, non seulement elles se vengent de la peur qu’elles ont eue d’une révolte des Françaises, non seulement elles essaient de lui enlever l’envie de recommencer et veulent la donner en exemple, mais elles profitent gloutonnement de l’occasion qui leur est donnée d’assouvir leurs instincts hystériques. Elle se résigne à d’autres raffinements.
L’Aufseherin qui a eu cette idée, excitée, s’approche d’elle.
La grande S.S. blonde de la cuisine, qui fume d’un air distingué une cigarette de luxe avec des gestes gracieux de la main et de la tête, fait un signe imperceptible de dénégation ; l’autre s’arrête. Elles échangent un regard dont je ne comprends pas le sens, mais je sens que les événements vont prendre un autre tour.
Armelle commence à parler et, comme elle s’excite en cherchant ses mots, les S.S. se taisent. C’est un fait ; elles voudraient comprendre, et sans doute aussi, commencent-elles à être physiquement fatiguées.
Armelle explique que le chef de camp a dit que nous ne serions plus battues, que nous sommes des femmes « correctes », qu’il faut être « correct » avec nous et, sur les plaies de Cécile, elles versent elles-mêmes le baume par une réponse qu’elle savourera parfois quand elle se sentira prête à succomber sous leurs sévices :
— Qu’elle promette alors de ne plus battre les Aufseherinnen.
— Non, je ne les battrai plus, dit Cécile qui pense : « Je ne vous battrai plus, mais pendant une nuit entière vous avez tremblé devant les Françaises, devant la menace d’une mutinerie, et à quoi servent vos chiens et votre uniforme et le nerf de bœuf ? Ils ne peuvent vous délivrer de la peur. Ils ne vous font pas une âme et vous vous êtes trouvées tout à coup désarmées devant ces bagnardes en robe rayée qui sont ici parce qu’elles en ont une – que vous ne pouvez leur faire perdre. »
*
**
Cécile et Armelle, de corvée permanente, connaîtront d’autres brimades pendant une dizaine de jours, puis les S.S. « oublieront » et iront même jusqu’à les inviter à leur table (!) avant de leur déclarer, à la veille de leur retour à Ravensbrück (l’administration s’était aperçu un peu tard que les N.N. ne devaient pas quitter leur camp d’affectation) :
— Les Françaises sont les seules femmes bien. Toutes les autres sont une cochonnerie de merde… Nous regrettons le départ des Françaises.
XIX
ZWODAU
Zwodau c’est à la fois tout et autre chose.
Trois mille « mannequins nus », loués à la direction des usines Siemens. Zwodau perché sur une colline des Sudètes à trente kilomètres de Karlsbad.
Zwodau, c’est « seulement » cent vingt Françaises qui se partagent les inévitables kommandos extérieurs de terrasse, d’aménagement, de transformation, de stockage et les ateliers.
Betrieb I : fabrication des grosses pièces de molettes d’avions. On vit, on travaille, on mange (!), on dort (!), on meurt à l’ombre des machines. « Pas sortir » (!).
Betrieb II et III : travail de précision ! La planque.
Zwodau, c’est l’aventure de Brigitte Friang cxix .
Zwodau, c’est le kommando des « morts ».
— Enfin cxx voici le cimetière juif où nous opérons… Devant la petite porte, une charrette, couverte de branchages, attend.
Nous avons croisé la voiture, c’est pour cela que le « commandant » nous a renvoyées, il faut les enterrer…
Les Polonaises enlèvent le panneau arrière de la charrette, je recule horrifiée : de chaque côté du cercueil apparaissent les têtes et les pieds de cadavres entassés. L’affreuse vieille est montée sur le lugubre chargement, a lancé par terre la couverture grise qui dissimulait le tout sous les branches de sapin. Elle lance dessus une morte qui tombe à plat ventre, demi-nue… Ce crâne rasé, ces membres squelettiques… Mon Dieu ! C’est une enfant ! Un bruit mat : deuxième cadavre, une autre enfant ! Je me retourne
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