Kommandos de femmes
C’est ainsi que ces « gourmandes » trouvent parfois des raves ou des rutabagas pourris dont elles font leurs délices. Pour ma part, je me contente de quelques pissenlits, quand il s’en trouve dans les terrains vagues. Mais tous ces suppléments seront bientôt prohibés.
Zig et Puce, qui ne sont pas moins affamées (cela tourne même à l’idée fixe), découvrent un jour en bêchant de délicieuses racines, genre salsifis, d’un goût sucré. Faisant partager cette trouvaille à leur groupe, une vingtaine de femmes se mettent à croquer ce nouveau légume. Le résultat ne se fait pas attendre ; dès le soir les voilà prises de troubles cardiaques et d’un genre de folie qui leur ôte toute conscience. Elles rient, en racontant des choses les plus saugrenues. Elles déraisonnent complètement.
Grosse émotion : la doctoresse hongroise arrive, fait venir le kommandant, la kommandante, Lucifer. Tout le monde vient voir cette curiosité. Les malheureuses, qui ont perdu tout bon sens, éclatent de rire devant les autorités, les montrent du doigt, parlent, chantent en plaisantant sur leur compte.
Cela aurait dû finir très mal. Mais les Boches trouvèrent cette plaisanterie excessivement drôle, et toute la journée ce fut un défilé d’Aufseherinnen venant voir cette attraction.
Dès qu’une femme eut retrouvé assez d’esprit pour raconter ce qui s’était passé, on constata qu’elles avaient mangé des racines de belladone !
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La direction du camp est assurée par un S.S., complètement fou, fou dangereux. Il a pour surnom Toto, ou Sacramento, du fait qu’il ne peut pas dire deux mots sans que revienne ce juron. Il est toujours accompagné d’un grand chien, peu rassurant, qui saute autour de lui ; bête bien soignée, bien nourrie, qui a deux soupes par jour. Il élève aussi trois canards et, à notre arrivée, une prisonnière (volontaire) sera préposée à la garde et à la promenade des canards. Perpétuellement ivre, l’Oberscharführer frappe à l’aveuglette avec sa badine ou tire des coups de revolver. Il déteste les Français. Le vide se fait sur son passage et la terreur règne devant lui. Aussi redoutée est la kommandante qui, également, boit, tape, gifle. C’est une petite boulotte, affreuse physiquement. Vient ensuite Lucifer, qui, à force de frapper une petite Juive de treize à quatorze ans, lui a « déclenché une méningite » ; la gamine ne tardera pas à mourir. Ce trio hurle à qui mieux mieux, semant l’effroi non seulement parmi les internées, mais parmi les Posten et les Aufseherinnen.
Ce camp disciplinaire pour nous, est aussi un camp de punition pour les surveillantes qui sont traitées très durement et, naturellement, se vengent sur les femmes de leurs ennuis. C’est ainsi que nous avons retrouvé « Annie et Lily », deux petites boches disparues d'Abteroda et envoyées ici pour avoir été trop douces avec nous. Elles sont du reste contentes de nous revoir, et détestent tellement la kommandante et Toto, qu’elles font presque corps avec nous. Elles sont aussi très surveillées, souvent punies et giflées. Les Posten sont de vieux Hongrois dont les préférences vont, bien entendu, à leurs compatriotes. Il y a l’idiot, le fou, l’innocent du village, etc. Un seul est bien, nous l’appelons pour cette raison « Prima ».
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Le 13 avril 1945, les mille cinq cents femmes de Markleeberg évacuent le camp. Beaucoup s’évaderont en route, les autres se réveilleront, un matin, abandonnées par leurs gardiens à quelques kilomètres des premières lignes américaines.
XVIII
CÉCILE ET ARMELLE
Barth, sur les bords de la Baltique… cent vingt kilomètres de Ravensbrück. Encore un kommando d’usine sans grande spécialisation qui fournit à la demande des chaînes de constructions aéronautiques les petites pièces métalliques façonnées par les déportées. Camp propret, installé dans des casernes S.S. ; camp « très ordinaire » qui serait probablement resté oublié de la chronique concentrationnaire sans le « geste » de Cécile, dès la première nuit de travail.
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Nous pouvons cxiv , paraît-il, quitter l’établi pour les cabinets à minuit et à quatre heures du matin. À quatre heures, Cécile s’y précipite et est arrêtée à la porte par une Gitane qui applique la consigne, issue de sa fantaisie, de fermer les portes. Cécile passe quand même. La Gitane appelle une Aufseherin qui, sans
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