Kommandos de femmes
écouter ses explications, lance une gifle à Cécile…
La S.S. lève la main une seconde fois, un seul mot allemand vient à l’esprit de Cécile ; elle le leur a entendu déjà prononcer pour intimer l’ordre de se tenir au garde-à-vous. À son tour maintenant de s’en servir :
— « Achtung ! »
Elle suspend le geste de l’Aufseherin, et cette fois-ci, ivre du plaisir de commettre enfin un acte libre, elle lui applique une gifle à toute volée. Une autre S.S. accourt, la haine accumulée donne à Cécile assez de force pour leur tenir tête à toutes les deux, ainsi qu’au « meister », le contremaître ; elle se débat tout en reculant jusqu’au milieu de la halle où une volontaire du travail lui saisit le bras :
— Madame, qu’est-ce que vous faites !
Triste intrusion d’un triste sens des réalités, pense-t-elle, et qui cependant lui sauve la vie. Le « meister », qui s’était emparé d’un triangle de bois garni de pointes de fer et l’avait déjà brandi au-dessus de sa tête, s’arrête aussi.
Mais Armelle, du bout de son établi, a vu la scène ; elle non plus ne raisonne pas selon le camp, mais selon ses impulsions. Elle quitte sa place, première faute grave, et s’approche de Cécile :
— Que faut-il faire ?
— Je t’en supplie, reste tranquille.
Cécile a compris, en un éclair, quelle portée va prendre son geste ; elle l’a accompli en toute connaissance de cause, mais elle ne voudrait pas impliquer une amie dans son crime. Il est trop tard. Un remous agite les Françaises. Les Allemands sentent une menace sur eux, ils sont confrontés avec une situation nouvelle, ils ont devant eux un potentiel humain aux fluctuations imprévues, et non plus le bétail qu’ils manœuvrent habituellement…
Ils s’éloignent et vont se concerter dans un petit atelier où ils font venir Cécile pour l’interroger…
— Pourquoi avez-vous fait cela ?
— Et vous ? Pourquoi m’avez-vous giflée ?
Elles la renvoient en faisant le geste de lui donner un coup de pied, mais sans l’appliquer. Le « meister » ordonne à Cécile un travail qu’il rend bouffon pour l’humilier : elle doit transporter de lourdes boîtes à outils et, au moment où elle se met en marche, il se place vis-à-vis d’elle et se juche sur ses pieds tout contre elle ; pour marcher il faut donc qu’elle essaie de le soulever. Comme il perd son équilibre, il cesse et se contente de la pincer. Ces gestes qu’elle trouve ridicules la laissent insensible.
Elle attend la suite.
L’air cxv est lourd d’orage, nous sommes toutes oppressées ; que va-t-on faire à nos deux compagnes ? Les plus sombres histoires de cachots nous reviennent et nous frémissons à leur souvenir. Enfin il est six heures du matin et l’on nous réunit, cinq par cinq, sur le côté de la halle. Je fais des vœux ardents pour que la colonne s’ébranle. Hélas !
Elles cxvi sortent des rangs, les cinq Aufseherinnen font cercle autour d’elles, qui avec une matraque en caoutchouc, qui avec une pelle, qui avec un outil, tout ce que l’usine a pu leur fournir. Cécile comprend sans peine leur dessein, et se tournant vers ses camarades, elle crie, désignant d’un geste leurs instruments :
— « Das ist deutsche Kultur », et craignant que son allemand n’ait pas été assez compréhensible, elle le répète à voix forte. Mais les visages des Russes qui sont au premier rang restent fermés. Elle ne peut s’empêcher de les trouver hostiles et d’en être touchée, puis elle se console en pensant qu’elles ne comprennent pas. Par contre, les ouvriers allemands de l’usine font cercle derrière les gardiennes, la face allumée par la promesse d’un spectacle de choix.
Son défi a servi de signal à la S.S. de la cuisine qui se lance sur elle avec un outil. Cécile n’en distingue aucun dans la pluie qui s’abat sur elle et ne révèle pas, par prudence, le point sensible où elles finissent par l’atteindre et s’acharnent à frapper. Elle est tout occupée à résister et à rattraper son équilibre à chaque fois qu’elle chancelle, mais Armelle ne peut résister à ce spectacle ; elle se précipite vers Cécile pour arrêter les coups et en détourne fatalement sur elle une grande part. Pour elle, c’est d’ailleurs un autre genre de supplice. Les S.S. détachent le chien, l’excitent par leurs cris et le lancent sur les deux femmes en lui laissant sa muselière, ce qui
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