Kommandos de femmes
peut-être cela ridicule, je n’ai pas beaucoup d’instruction, mais je l’ai écrit avec mon cœur…
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Zwodau, c’est aussi le dimanche 4 mars…
— J’avais cxxii travaillé toute la matinée au kommando du charbon. L’après-midi, prévoyant de nouvelles corvées, je m’étends sur un châlit du « rez-de-chaussée », cachée sous une couverture. Vers trois heures, les S.S. font irruption dans le block et réclament vingt-cinq prisonnières pour aller chercher à la gare de Zwodau le pain d’un transport de femmes qui venait d’arriver. Ce transport, six cents femmes, disait-on, était annoncé depuis un mois déjà. Il arrivait de Silésie, d’un camp évacué à cause de l’avance des Russes.
Une prisonnière allemande, surveillante à l’usine, se charge de recruter des « volontaires » . Elle a vite fait de me découvrir et m’oblige à me lever. Je proteste et lui montre mes chaussures dont seules les extrémités tiennent encore un peu.
Menacée d’être conduite devant le Kommandoführer, je suis obligée de céder. Avec les autres « volontaires » je sors en courant du block. Les S.S. furieux d’avoir attendu, hurlent et frappent. Le froid est vif, le sol est couvert d’une bonne épaisseur de neige ; on nous met en rangs, et nous partons encadrées de soldats armés et d’Aufseherinnen qui ne cessent de nous harceler. Je marche très difficilement et je « botte » ; finalement je trouve plus agréable de marcher pieds nus.
La gare est à trois kilomètres du camp. Nous passons par les champs, évitant ainsi la traversée de la ville.
De loin nous distinguons deux wagons, un wagon à bestiaux, un wagon de voyageurs. Sur le quai, un groupe sombre autour duquel s’agitent et crient des soldats. Ce sont les prisonnières annoncées. Lorsque nous arrivons sur le quai, nous nous arrêtons muettes d’horreur. Nous venions chercher du pain, ce sont des cadavres qu’il nous faudra transporter au camp. Des six cents femmes annoncées, il ne reste que deux cents mourantes, semble-t-il. Les autres sont mortes, brûlées vives dans leurs wagons plombés au cours d’un bombardement. Celles qui sont groupées sur le quai ont encore la force de marcher et rentreront au camp par leurs propres moyens ; elles sont déjà en rangs et s’ébranlent, encadrées de soldats qui les brutalisent à la moindre défaillance. Trois ou quatre d’entre nous les accompagnent pour aider les plus faibles.
Sur la neige gisent des mourantes, presque nues ; toutes demandent à boire. L’une d’entre elles, jeune encore, nue jusqu’à la taille est étendue les bras en croix. Elle a le visage couvert de sang, de poussière, les yeux démesurément ouverts. Deux camarades essayent de la soulever mais elle retombe sans forces. Elles décident de la porter jusqu’au camp. Avec trois Françaises, je m’approche du wagon à bestiaux. Une odeur affreuse y règne. Sur les planches gisent des corps inertes. Nous descendons tous les cadavres, que nous jetons sur une charrette. Plusieurs se présentent aussitôt pour la tirer jusqu’au camp. Il est moins pénible de traîner des cadavres que de porter des mourantes couvertes de vermine et repoussantes de saleté.
Avec précaution, nous descendons du wagon quelques malheureuses restées parmi les mortes mais que le froid a ranimées. À peine sur le quai, mourant de faim et de soif, n’ayant pas assez de forces pour porter la neige jusqu’à leur bouche, elles s’allongent, enfoncent la tête dans la neige et mangent. Certaines, dès qu’elles ont repris un peu de forces, se montrent avides de nouvelles : « Où sont-ils ? » Nous les rassurons ; la guerre est bientôt finie, l’avance est foudroyante de tous côtés. L’une d’entre elles nous raconte leur pitoyable odyssée. Parties depuis trois mois de leur camp elles ont voyagé tantôt à pied tantôt par le chemin de fer. Enfermées dans les wagons elles se battirent dans des moments d’affolement. Ceci nous explique pourquoi presque tous les cadavres étaient maculés de sang ; beaucoup ont le typhus et la neige est souillée partout où elles se laissent tomber.
Nous sommes dix-huit pour emmener une trentaine de femmes. Parmi nous des « droits commun » allemandes refusent de prendre plus d’une prisonnière à la fois, et encore le font-elles avec dégoût, redoutant les poux qui grouillent sur leurs haillons et leurs lambeaux de couvertures. Peu à peu le
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