Kommandos de femmes
fut une autre des chances dont elles jouirent dans cette histoire.
Le chien se jette sur Cécile et s’arrête. Quelques coups de pattes et de tête, et il cesse ses attaques. Les S.S. le rappellent et veulent le relancer sur Cécile ; alors elle s’approche du chien et, lui parlant le plus doucement possible pour mettre une trêve aux cris et aux bruits qui doivent déchaîner sa fureur, elle l’appelle et, se baissant, lui caresse le dos. Que sont les coups à côté du triomphe intérieur qu’elle goûte ? (elle n’est qu’au début des coups et pas encore très meurtrie). La seconde de silence qui s’ensuit, le muet étonnement des S.S., le chien lui-même qui s’est arrêté un instant, toute la scène d’horreur suspendue. Son triomphe est de courte durée. Le chien se jette sur Armelle et maintenant Cécile se sent impressionnée par la hargne furieuse de la bête qui fouaille sous les jupes d’Armelle, lui laboure les cuisses de ses griffes, se recule et se jette à nouveau sur elle. Cécile essaie de l’attirer de son côté ; à nouveau elle l’appelle :
— Viens par ici, viens.
Mais en vain.
Elle ne bénéficie plus, cette fois, du moment de surprise ; il a trouvé une cible qui lui convient, il ne manifeste plus aucun goût pour elle. Les S.S. elles-mêmes le rappellent et le lancent sur Cécile, il s’approche sans conviction, puis soudain se précipite sur Armelle avec fureur.
Les camarades du fond de la halle suivent la scène imparfaitement, Dédée d’Avignon, est tombée à genoux, elle prie tout haut. Une autre répète :
— Ils vont les tuer, ils vont les tuer, souhaitant peut-être qu’une mort soudaine les arrache à la férocité des Allemands.
Enfin la grande porte du fond glisse et un peloton de soldats, baïonnette au canon, commandé par un sergent, entre dans un bruit de bottes et d’ordres gutturaux ; ils viennent encadrer Cécile et Armelle. Le sergent dit un mot à une S.S. et s’approche des deux femmes en leur faisant avec un rire le geste de leur passer une corde autour du cou : « cric », ajoute-t-il de manière significative.
Lorsque Armelle et Cécile confronteront leurs impressions, elles découvriront qu’elles eurent des réactions diverses. Armelle fut soulagée, encore que son point de vue échappât à Cécile, de l’appareil d’opéra-comique des soldats, de la trivialité du geste, du drame tout entier. Elle se reprenait à espérer :
— Si nous sommes pendues, nous ne serons plus battues.
Et Cécile pensait :
— Si nous ne sommes plus battues, nous serons pendues.
Au moment où la colonne s’ébranlait, Armelle dit à Cécile :
— Ils ne peuvent tout de même pas nous pendre sans nous juger !
Cécile n’en était pas si sûre…
Deux kilomètres nous séparent du camp, la colonne s’ébranle, puis, à quelques mètres derrière, de crainte qu’une mutinerie ne se produise, on pousse Armelle et Cécile. Le sergent circule derrière Armelle, lui envoie un coup de poing dans le dos, la fait tomber. Une S.S. lâche à nouveau le chien sur elle. Le sergent passe ensuite devant Cécile, lui fait un croc-en-jambe et la fait trébucher plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle tombe. Dans certains pays ce sont des manières d’écoliers, en Allemagne, ce sont celles des soldats.
Nous arrivons au camp et nous sommes alignées, l’angoisse se peint sur le visage des Françaises ; on place devant elles Cécile et Armelle. Une mise en scène commence. Cette affaire concerne les Françaises, les Belges d’abord sortent des rangs et invoquent leur nationalité, puis des volontaires du travail qui protestent ; elles sont venues en Allemagne pour travailler, et non pour saboter. Car le crime par excellence, en Allemagne, est le sabotage et ce mot couvre tous les péchés, crimes ou peccadilles.
La gardienne en chef – celle que nous appellerons « la dompteuse » – sort de la baraque. Cécile se rappelle les coups de celle-là qui avait une force herculéenne. Elle bondit comme une panthère, se ramasse, se détend et commence à taper sur Cécile à toute volée, cassant successivement les bâtons, le manche à balai qu’on lui apporte servilement de l’intérieur du block. Sa fureur hystérique s’excitait au paroxysme qu’elle atteignait seulement au moment où l’on croyait qu’elle allait se calmer. Il nous reste l’image d’une démente dansant autour de Cécile. Parfois une rumeur montait des
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