La 25ème Heure
Non pour des motifs politiques, mais simplement à cause de leur cruauté et de la terreur qu’ils inspirent. Et je crois que, vous non plus, vous n’auriez pas le courage de pénétrer en zone soviétique autrement qu’en uniforme et avec une bonne escorte. Est-il juste que vous nous demandiez à nous, deux êtres sans défense, pourquoi nous avons fui devant des bandes barbares, armées de fusils automatiques, du dernier modèle américain ?
– Et maintenant que désirez-vous ? demanda le gouverneur. Vous ne pouvez pas sortir d’Allemagne. Ici vous serez traités comme citoyens ennemis et vous serez soumis aux mêmes obligations que la population allemande. Vous aurez les mêmes droits qu’eux, et rien de plus.
– C’est-à-dire aucun droit, dit Koruga. Les Allemandes de Weimar sont obligées de nettoyer les waters du camp de Buchenwald et de laver le linge des détenus libérés, au moins une fois par semaine. Vous voulez obliger ma femme à accomplir ces mêmes tâches ?
– Nous ne sommes pas les ennemis de l’Amérique et des nations alliées, dit Eleonora West. Nous avons été internés pendant près d’un an par les ennemis des nations alliées. Et aujourd’hui, nous sommes venus vous demander l’autorisation d’habiter une chambre quelconque, dans cette région, ou de nous fournir la possibilité de partir si nous ne sommes pas admis à y résider. Nous sommes tous les deux à la rue. Nous ne savons où dormir, où manger, nous ne pouvons pas nous laver, on nous interdit de rester et on nous interdit de partir. – Vous êtes des citoyens ennemis, dit le gouverneur. Votre présence ne m’intéresse pas. Vous avez des passeports roumains, n’est-ce pas ? Alors vous êtes des ennemis. – Mais la Roumanie lutte depuis dix mois déjà aux côtés des Alliés contre l’Allemagne, dit Eleonora West, et vous le savez aussi bien que moi. Quatre vingt mille Roumains sont déjà tombés pour la cause alliée. Ceux qui luttent à vos côtés sont donc des ennemis pour vous ?
– La Roumanie est un État ennemi, répéta le major Brown. Il retira un papier du tiroir et lut à haute voix : " Pays ennemis : Roumanie, Hongrie, Finlande, Allemagne, Japon, Italie. " C’est assez clair, n’est-ce pas ? Vous êtes les ennemis des États-Unis.
Traian Koruga se mit debout. Eleonora West implora du regard le gouverneur :
– Vous n’avez jamais lu dans les journaux que la Roumanie combat aux côtés des Alliés depuis presque un an ? demanda-t-elle. Nos papiers indiquant que nous avons été internés par les Allemands ne vous suffisent-ils pas ? Nous ne sommes pas vos ennemis. – Même s’il en est ainsi, cela ne m’intéresse pas, dit le gouverneur. Les dispositions reçues par moi stipulent que les Roumains sont les ennemis des États-Unis. J’ai perdu trop de temps à discuter avec vous. Vous, madame, vous êtes mon ennemie. Mon ennemie, l’entendez-vous ! Et si j’étais tombé entre vos mains, vous m’auriez fusillé et vous ne seriez pas restée à discuter avec moi, comme je le fais maintenant avec vous. Ce que je viens de faire est illégal. Et je ne le répéterai plus. On ne discute pas avec des ennemis !
Le major Brown, le gouverneur militaire de la ville de Weimar, était blême de colère. Il ne répondit même pas au salut de Traian Koruga et d’Eleonora.
– Voilà l’Occident, dit Traian en descendant les marches de l’escalier. Ils ne s’intéressent ni aux faits, ni à l’homme. Ils ont tout généralisé et ne s’inclinent que devant le règlement.
– Je ne peux plus marcher, dit Nora. Traian lui prit le bras pour la soutenir. Elle s’appuya sur son épaule et se mit à pleurer.
– Nous avons parcouru les deux cents kilomètres presque en courant pour arriver chez eux. Nous avons couru tout comme vers la Mecque…
– Il ne faut pas le regretter, Nora, dit Traian. Nous avons fui la terreur russe. Il est bon que nous y ayons échappé. Mais les hommes ne peuvent se trouver bien nulle part en ce moment. La terre a cessé d’appartenir aux hommes.
108
Quatre jours après, Traian Koruga et Eleonora West retournèrent chez le gouverneur. Ils avaient besoin d’une autorisation leur permettant de résider encore une semaine à Weimar.
Nora avait les pieds enflés et ne pouvait aller plus loin. Elle avait mis sa plus belle robe, un chapeau et des chaussures à talons hauts. Après avoir annoncé au soldat de service
Weitere Kostenlose Bücher