La 25ème Heure
présent elle avait froid aux reins. Ils étaient glacés. Et pas seulement les reins, ses intestins étaient aussi glacés.
Eleonora West couvrit ses genoux de sa robe. Mais cela ne servait à rien. Elle avait peur de s’asseoir sur le lit. Elle se mit à trembler. Elle claquait des dents.
Dehors il faisait chaud. Mais cela n’avait aucune espèce d’importance, du moment qu’elle tremblait de froid et claquait des dents comme en plein hiver. Pour se réchauffer Eleonora West s’accroupit au milieu de la cellule. À ce moment, elle se rendit compte qu’elle devait aller au cabinet. Elle devait y aller tout de suite. Des centaines d’aiguilles lui traversaient la vessie et elle ne pouvait plus forcer les muscles à lui obéir.
Eleonora West se rappela les romans qu’elle avait lus : dans les cellules de prisons, une cuvette remplaçait les W. -C. Mais dans sa cellule elle ne voyait qu’un lit, une petite table et une fenêtre grillée. Nora se dirigea vers la porte et leva le poing pour frapper.
" Ils me donneront bien la permission d’aller aux cabinets ! " se dit-elle.
À ce moment elle se rappela les paroles sévères du gardien allemand : " Si vous frappez à la porte, vous serez punie ! "
Elle laissa tomber sa main. Elle avait peur de frapper. " Je suis coupable d’avoir frappé à la porte alors qu’il ne fallait pas le faire ", se dit-elle, et elle recommença à marcher de long en large à travers la cellule.
Elle s’arrêta de nouveau, la main levée devant la porte. Mais elle n’eut pas le courage de frapper : " Si vous frappez à la porte, vous serez punie ! "
Pendant que ces paroles résonnaient à ses oreilles, tout son corps fut comme traversé par un courant électrique : un signal d’alarme. Elle sentit qu’elle avait perdu le contrôle de ses muscles. Elle sentit que ses fins pantalons de soie étaient en train de se mouiller. Le porte-jarretelles se mouillait aussi. Et les bas également. Quelque chose d’humide et de chaud glissait le long de ses cuisses, de ses bas, jusque dans ses souliers.
Eleonora West fit encore un effort pour se retenir. Mais ses muscles, sa chair, et tout son corps ne lui appartenaient plus. Elle s’accroupit davantage. À mesure que ses pantalons se mouillaient et devenaient de plus en plus chauds, une sensation de bien-être, de libération, qu’elle n’avait jamais connue jusqu’alors l’envahit, tout entière. Chaque muscle, chaque pore, chaque fibre de son corps se détendait. Cette sensation était plus forte que tout plaisir, c’était une véritable volupté. Mais c’était presque plus qu’une volupté, c’était l’extase. Elle se détachait, grâce à cette volupté, de tout ce qui était terrestre. Elle planait. Elle se trouvait en dehors du temps : tout son corps se libérait.
Nora West avait l’impression d’uriner depuis des heures et des heures sans s’être jamais arrêtée. Mais, lorsqu’elle aperçut le ciment ruisselant tout autour d’elle, elle fut saisie d’épouvante. Elle se mit debout et se réfugia dans un coin de la cellule comme pour se cacher. C’était l’heure la plus dramatique de sa vie. Le ciment de la cellule était trempé. Les filets d’urine se glissaient sous le lit, sous la table, jusqu’à ses pieds.
Eleonora West savait bien qu’elle venait de faire quelque chose d’interdit. Eleonora West savait qu’elle allait être découverte et punie sévèrement. La voix du gardien résonnait menaçante à ses oreilles : " Vous serez punie ! "
Eleonora West aurait voulu déchirer sa robe pour nettoyer par terre, mais c’eût été inutile, il y avait trop de liquide pour qu’il puisse être absorbé par sa robe de soie et par le peu de linge qu’elle avait sur elle, trop léger et trop fin. Et cette voix tout près d’elle, qu’elle entendait sans cesse : "Vous serez punie ! Vous serez punie ! "
Se rendant compte qu’elle ne pourrait jamais se cacher, qu’elle serait découverte et que toute tentative d’échapper au châtiment serait inutile, Eleonora West se couvrit les yeux de ses petits poings dont elle n’avait pas encore ôté les gants de dentelle, transparents comme une toile d’araignée, et se mit à pleurer de désespoir…
111
– Tout ce qui vient de vous arriver est extrêmement regrettable, dit le sergent Goldsmith, le commandant de la prison. Je tiens à vous présenter mes excuses. Je regrette de ne pas avoir été mis plus tôt
Weitere Kostenlose Bücher