La 25ème Heure
qu’ils voulaient parler au gouverneur, Traian dit à Eleonora :
– Tu t’es habillée comme pour une réception officielle. Elle sourit. Elle avait mis cette robe pour la première fois trois ans auparavant, lors d’une visite faite un matin au ministre de Finlande.
– M. le gouverneur vous prie d’attendre encore quelques instants, dit la sentinelle poliment.
Quelques minutes passèrent. Nora était contente. Un soldat se dirigea vers eux.
– Vous êtes les diplomates roumains qui désirez parler au gouverneur ? demanda-t-il. Veuillez attendre encore un peu, et il disparut.
Eleonora West pensa que le major Brown était au fond un homme comme il faut et savait se conduire. Il venait de s’excuser par deux fois de les faire attendre cinq minutes.
Le siège du gouvernement était installé dans un grand immeuble. Le hall était immense. Nora se regarda dans la glace. Elle avait maigri et les plis de la robe tombaient mieux que la dernière fois à la Légation de Finlande.
– Suivez-moi, dit le second soldat, en se dirigeant vers eux.
Eleonora West s’éloigna de la glace en souriant. Traian la soutenait par le bras. Ils suivirent le soldat, qui ne montait pas les escaliers comme la dernière fois, mais se dirigeait vers la sortie.
Puis il les invita à s’installer dans la jeep qui attendait devant la porte.
– Où allons-nous ? demanda Traian.
Le soldat qui conduisait haussa les épaules. Il y avait du vent. L’auto traversait les mes de la ville à une allure folle. Traian se pencha à l’oreille du second soldat.
– Où allons-nous ?
Le second soldat haussa les épaules tout comme son camarade. Traian se tourna vers Nora. Elle tenait les bords de son chapeau, de ses deux mains. Elle riait. Elle avait toujours aimé la vitesse.
À l’autre bout de la ville, la jeep s’arrêta devant un mur de pierre. Un portier à képi ouvrit la porte.
Mais l’auto ne pénétra pas dans la cour.
L’un des soldats remit au portier une enveloppe. Puis il fit signe à Eleonora West et à Traian de descendre.
– Où sommes-nous ? demanda Eleonora West.
Les Américains attendaient qu’elle soit descendue. Ils ne répondirent pas.
– Où sommes-nous ? Nora répéta la question en allemand au portier.
– À la prison de la ville, répondit-il.
Puis il prit Nora par le bras.
Nora avait voulu dire quelque chose aux soldats, mais il était trop tard. La jeep avait disparu aussi vite qu’elle était venue.
Nora se retourna vers Traian. Il était pâle. Les portes en fer se refermèrent sur eux.
Ils se trouvaient dans la cour de la prison.
109
Traian Koruga fut enfermé dans la cellule n° 5, au rez-de-chaussée, et Nora dans la cellule n° 2, au troisième étage.
– Ils ont dû se tromper, dit Traian dès qu’il fut seul, il essaya de deviner ce qui avait bien pu arriver. Mais il se rappela que Nora était enfermée, en ce moment même, dans une cellule semblable à la sienne et il perdit son calme.
Avant de la quitter, Traian avait voulu embrasser Nora et lui dire une phrase, un mot d’amour. Le gardien l’avait pris par l’épaule et les avait séparés brutalement. Nora s’était retournée vers le gardien, suppliante. Il l’avait poussée violemment, vers l’autre bout du corridor.
C’est ainsi qu’ils avaient dû se séparer dans le couloir de la prison.
– Je suppose qu’ils doivent me confondre avec Dieu sait quel criminel qui porte mon nom ou me ressemble. Mais pourquoi ont-ils arrêté Nora ? Traian Koruga se mit à frapper à coups de poing dans la porte, pour faire venir le gardien. " Je m’attendais à ce que les Russes m’arrêtent ", se dit-il. " Chez les Russes, des mains trop propres suffisent à vous faire arrêter. Et même s’ils m’avaient arrêté sans regarder mes mains, s’ils m’avaient arrêté sans aucun motif, je n’aurais pas été surpris. Avec les Russes je m’attendais à tout.
" J’ai fait deux cents kilomètres à pied pour fuir une société où le " manque de motifs " constitue un motif d’arrestation, d’assassinat ou de déportation. " Les poings lui faisaient mal. Mais Traian continuait à frapper dans la porte de la cellule. Il ne frappait plus pour faire venir le gardien mais pour se punir lui-même d’avoir couru deux cents kilomètres, et d’avoir couru en vain, traînant Nora après lui – cette femme aux pieds enflés et saignants. " Les Allemands auraient pu arrêter Nora,
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