La 25ème Heure
obligatoire, dit le docteur. Quant à la première : non. Je suis homme de science. Je ne crois que ce que je constate. Je ne peux pas croire sans preuves.
– Croyez-moi en tant qu’homme !
– Je suis homme de science, répéta le docteur en appuyant sur chaque mot. Ma conscience professionnelle m’interdit de croire quelqu’un sur parole, sans preuves à l’appui.
161
Traian fut soumis à un examen médical. On lui fit une prise de sang aux veines des deux bras. Puis une seconde prise de sang, cette fois-ci au bout des doigts. Puis une autre encore, de nou veau au bras, plus importante, celle-ci. Il donnait son sang avec résignation. L’Homme doit toujours donner de son sang. Toujours. Partout. Mais cela n’avait pas été suffisant. Ils lui firent une piqûre derrière la tête, dans la nuque, pour en extraire quelques gouttes du liquide céphalo-rachidien. Il avait supporté la douleur. Cela lui avait fait très mal. L’opération s’était répétée. Traian était résigné. Il savait bien que l’Homme doit payer de son cerveau aussi, non pas seulement de son sang. Sinon, on lui conteste le droit de vivre.
On avait excité ses glandes. On en avait extrait les sécrétions les plus intimes qu’on avait mises entre des plaques de verre, et analysées à la lumière des lampes. L’urine, la salive, les sucs des diverses glandes et organes de l’intestin, tout avait été examiné au microscope, mis en éprouvette, pesé et distillé dans le laboratoire de la prison.
Les médecins avaient radiographié ses poumons. Puis sa tête. Tout le squelette, os par os, et jointure par jointure avait été passé aux rayons X.
Les docteurs cherchaient la blessure qui avait provoqué le cri désespéré de l’Homme en quête de justice. La blessure se cachait ailleurs, mais les médecins s’entêtaient à la chercher dans le corps de Traian, dans ses poumons, dans ses os, dans son cerveau, dans son sang, dans sa moelle. Et lui, les laissait faire. Ils lui avaient ensuite examiné un à un tous les muscles et tous les nerfs pour en observer les réactions. Les genoux, les mains, l’estomac, tout y était passé. On avait écouté battre son cœur. On avait essayé de surprendre le moindre mouvement anormal de ses poumons. L’oreille du docteur avait écouté tous les mouvements secrets de son sang.
Le corps de Traian avait été pesé. Ensuite on avait mesuré sa taille, son tour de poitrine, ses os, ses bras, ses jambes. On lui avait demandé d’ouvrir la bouche, ses dents avaient été regardées, comptées, frappées. Sa langue avait été examinée comme un plat qui n’a pas l’air très frais. Tout le corps de Traian avait été examiné comme un article sur lequel plane l’ombre d’un doute. Peut-il oui ou non être utilisé ?
Puis il lui fallut subir l’interrogatoire des psychiatres. Le médecin avait discuté avec lui matin, midi et soir et quelquefois même la nuit. Ses réponses aux questions les plus anodines avaient, été soigneusement notées. Les médecins y avaient cherché les empreintes de la folie, comme les détectives les indices du meurtre dans la maison de la victime. Ils avaient incité Traian à parler de son enfance, de sa mère, de ses sœurs, de son père et des femmes qu’il avait connues. Traian Koruga qui connaissait les voies plongées dans la nuit du subconscient, ces voies cachées et sombres que les médecins recherchaient, les avait aidés de son mieux.
L’âme de Traian avait été disséquée de partout, mise à nu, ouverte comme une armoire remplie de vieux habits et de linge sale. Les médecins y avaient fourré leur nez, sans avoir la nausée à force de regarder et de renifler chaque pli de cette vie cachée, intime.
Enfin l’examen s’était achevé.
– Vous êtes parfaitement sain ! avait dit le docteur.
Rien que des complexes inévitables, de la sous-alimentation, de l’avitaminose et un poids au-dessous de la normale. À part cela, tout est en ordre. Un peu d’anémie, vos jointures sont gonflées à cause du manque de nourriture. Les dents souffrent pour les mêmes raisons. Le pouls est irrégulier à cause de l’affaiblissement de l’organisme, quelques taches inoffensives sur les poumons et un peu de rhumatisme. Mais ce sont là des maux courants et sans importance.
– Vous êtes donc convaincu que je ne suis pas fou ? demanda Traian.
Il était fatigué. Tout aussi fatigué que Jésus sur le Mont
Weitere Kostenlose Bücher