La 25ème Heure
d’ailleurs pas que quelqu’un en sorte avant la fin de la guerre. Et la guerre peut durer encore dix ans.
Iohann Moritz soupira. S’il restait encore dix ans dans le camp, il aurait les cheveux tout blancs.
– Voudrais-tu t’en aller dans un autre pays ? demanda le docteur Abramovici.
Moritz se souvint qu’il avait voulu partir pour l’Amérique avec Ghitza Ion. " Si seulement il avait plu ce jour-là, aujourd’hui je serais en Amérique. Si je n’avais pas rencontré Suzanna ce soir-là ", se dit-il. S’il n’avait pas rencontré Suzanna ce soir-là, aujourd’hui il serait très loin. Il ne se trouverait pas dans le camp.
– Je veux bien partir, dit Moritz tout joyeux. J’ai déjà voulu partir en Amérique, mais ça n’a pas pu se faire…
– Cette fois-ci ça se fera, répliqua le docteur Abramovici. Si tu veux partir, en quelques mois tu seras en Amérique.
Moritz regarda Abramovici, Strul et Hurtig. Ils le regardaient aussi. On voyait bien qu’ils ne se moquaient pas de lui. Si ç’avait été pour blaguer, ils ne l’auraient pas fait venir de la forêt.
– Je le veux bien ! dit Moritz.
– Alors tu n’as qu’à partir avec nous, dit le docteur. Avec nous trois. Nous voulons passer en Hongrie. As-tu peur de t’évader ?
– Je n’ai pas peur, dit Moritz.
– En Hongrie il n’y a pas de lois antisémites, dit le docteur. J’ai une sœur qui s’est mariée à Budapest et y habite. Elle m’attend. M. Hurtig a, lui aussi, des parents en Hongrie. Mais nous avons besoin de quelqu’un qui nous donne un coup de main pour transporter les bagages. J’en ai beaucoup : six valises. J’ai pris tout ce qui avait de la valeur. À partir de la frontière, sur le territoire hongrois, nous aurons à faire une dizaine de kilomètres à pied. Je ne peux pas les porter tout seul. Et puis aucun de nous ne parle le hongrois. Et nous avons pensé à toi.
– Comment pourrons-nous sortir d’ici ? demanda Moritz.
– L’adjudant nous amènera en camion, du camp jusqu’à la frontière, dit le docteur. Nous ne pourrions pas partir autrement. Les patrouilles gardent tous les chemins. Mais nous serons en camion militaire.
– L’adjudant sait que nous nous évadons ?
– Certainement ! dit Hurtig. Il a une famille nombreuse et a besoin d’argent. À sa place, ne ferais-tu pas comme lui ?
Moritz ne répondit pas.
– Prends encore une cigarette et va faire tes bagages ! dit le docteur Abramovici. Fais attention que les autres prisonniers ne s’aperçoivent de rien.
– Faut-il y aller tout de suite ? demanda Moritz.
– Le plus vite possible ! dit le docteur. À neuf heures l’adjudant nous attend devant la porte avec le camion. Prends tes affaires et reviens immédiatement au bureau. Nous t’y attendrons. Ne prends pas beaucoup de bagages. Tu as à transporter mes malles !
Iohann Moritz partit. Il revint sitôt après avec une serviette dans laquelle il avait fourré une chemise, un pantalon, et la moitié d’un pain.
À neuf heures ils sortirent du camp. L’adjudant les attendait. Il les embarqua dans le camion et les conduisit à la frontière.
À trois heures du matin, Iohann Moritz transportait les valises du docteur Abramovici sur le territoire hongrois. À l’aube, ils se trouvaient devant une gare. Le docteur Abramovici donna de l’argent à Moritz pour qu’il achète quatre billets de seconde jusqu’à Budapest.
44
À une réception de la légation de Finlande à Bucarest, Traian Koruga fit la connaissance du général Tautou, le ministre roumain de la Guerre. Quelques jours après, il alla le trouver au ministère et lui exposa le cas de Iohann Moritz. Le général l’écouta avec intérêt. Il prit note du nom, de la profession, de la date de naissance et de l’arrestation de Iohann Moritz et dit :
– Dans une semaine au plus tard, votre homme sera de retour chez lui. Je vais donner ordre que le cas soit immédiatement examiné et qu’on prépare les papiers de mise en liberté. Aujourd’hui nous sommes le…
Le général regarda le calendrier.
– 21 août. Vous pouvez passer le 28 et je vous remettrai l’ordre de mise en liberté de votre homme.
Et il demanda :
– Ce Moritz est le serviteur de votre père ?
– C’est son homme de confiance, répondit Traian. Ce n’est pas à proprement parler un serviteur.
– À la campagne, il y a crise de main-d’œuvre, répondit le général
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