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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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sans l’écouter jusqu’au bout. Je comprends que vous vous démeniez tellement pour ce pauvre bougre. Un homme de plus, cela compte pour la moisson. Surtout que nous sommes en pleine saison maintenant.
    La conversation continua sur ce ton.
    Traian essaya d’expliquer au général qu’il intervenait pour Moritz non parce qu’il était le serviteur de son père et nécessaire aux travaux des champs, mais tout simplement parce qu’il avait été arrêté injustement.
    – Mon intervention est un simple acte d’humanité, un acte gratuit.
    – Mais moi aussi je suis obligé d’agir de même, dit le général. Je vais souvent à la campagne pour baptiser ou marier des paysans. Aujourd’hui il faut utiliser toutes les méthodes possibles pour les faire travailler. Il faut leur laisser l’illusion qu’on est leur ami et aller jusqu’à s’asseoir à la même table qu’eux. Je comprends très bien ce que vous voulez dire. Votre père se trouve dans la même situation que moi.
    Le général ouvrit un tiroir de son bureau, en retira le dernier roman de Traian et le posa sur la table. C’était un exemplaire tout neuf, les feuillets n’en étaient même pas coupés.
    – J’ai envoyé mon aide de camp à la librairie pour l’acheter, dit le général. Auriez-vous la gentillesse d’écrire une dédicace pour ma fille ? Elle s’appelle Élisabeth, elle a dix-huit ans et dévore les romans. Vous êtes l’un de ses auteurs préférés. A déjeuner, lorsque je vais lui raconter que vous êtes venu me voir, elle me posera un tas de questions, sur votre costume, la cravate que vous portiez, les cigarettes que vous fumiez. La jeunesse est comme cela, que voulez-vous ?
    Traian descendit l’escalier du ministère de la Guerre assuré que cette fois-ci enfin il obtiendrait la mise en liberté de Iohann Moritz. Il passa prendre chez la fleuriste le bouquet de roses blanches qu’il avait commandé le matin même, puis il entra dans le bureau de poste et envoya un télégramme à son père : " 29 août serai Fântâna avec ma fiancée et avec ordre mise en liberté Iohann Moritz. "
     
     
     
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    –  Le 29 août nous serons à Fântâna dans la maison de ton père ? demanda Eleonora West.
    Elle était enchantée.
    – C’est bien dans une semaine, n’est-ce pas ? Je voudrais déjà y être !
    Elle prit les roses blanches des mains de Traian Koruga et les disposa dans un vase. Traian regarda longuement les boucles rousses qui lui tombaient sur les épaules, sur sa robe de soie noire. Il contempla sa silhouette élancée, ses jambes fines.
    – Nora ! Tu sais ce que je me demande chaque fois que je te regarde ?
    Souriante, elle tourna la tête vers lui.
    – Je me pose la même question que le poète Tudor Arghezi : " Ta mère fut-elle une fée, une biche, ou un roseau ? Quelle semence a donc pu mûrir entre ses flancs ? Celle d’un esprit sans doute, ou bien d’un voïévode, car tu n’es sûrement pas de la race des mortels… " Tu es trop belle. Il doit sûrement y avoir des chevreuils dans ton arbre généalogique. Tes yeux ont le regard effarouché des écureuils. C’est d’eux que tu tiens cette souplesse. Tu dois avoir aussi des algues parmi tes ancêtres. Ton corps garde l’harmonie des herbes d’eau. Tu es capricieuse comme la caresse d’un chat angora.
    Eleonora West demeurait le dos tourné, les joues enfouies dans le bouquet de roses.
    – T’ai-je fait de la peine ? demanda Traian.
    – Non, répondit-elle.
    – Tu es devenue triste. Même en ne voyant pas tes yeux je devine leur mélancolie. Est-ce à cause de ce que j’ai dit ?
    – Non ! répondit-elle en esquissant un sourire. Je ne suis pas triste. Je pensais seulement à mon arbre généalogique où il serait vraiment difficile de trouver des biches, des princes, des fées, des algues, des écureuils…
    Ils se mirent à table. Ils étaient tout seuls dans l’immense salle à manger aux meubles de vieux chêne.
    La maison d’Eleonora West était l’une des plus célèbres de Bucarest. Elle en avait dessiné le plan, elle-même. Les meubles, les tapis, tout avait été exécuté d’après ses dessins.
    Eleonora avait vingt-neuf ans et était la directrice du plus grand journal roumain, Occident. Elle était passée par les plus célèbres Universités d’Europe. Elle écrivait les articles de fond de son journal, elle dirigeait une maison d’édition, une revue littéraire et artistique,

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