La Bataillon de la Croix-Rousse
pendant que mes hommes la visitaient, je vis partir d’une fenêtre les coups de feu qui rompirent la trêve ; abominable attentat à la foi jurée ! trahison indigne de l’honneur militaire et dont un républicain est incapable.
Un murmure approbateur accueillit cette noble déclaration et le prévôt lui-même s’y associa.
Décidément, c’était un bon gendarme et un bon collègue.
– Comprenant que des royalistes seuls étaient capables de ce guet-apens et appréciant l’importance de la capture de ces scélérats, en vue de prouver que la responsabilité du guet-apens remontait à nos adversaires couverts de honte, je me précipitai dans la maison, je poussai mes hommes, je les empêchai de massacrer ces misérables, je les fis immédiatement filer vers le camp sous bonne escorte, et, comme il importait d’obtenir l’aveu de leur crime, je les interrogeai devant témoins et j’obtins d’eux l’aveu complet en leur mettant le pistolet sur le front. Je ne leur ai pas promis l’indulgence de la cour, n’en ayant pas le droit, et je leur ai arraché la vérité par le seul effet de la crainte d’une mort immédiate ; les lâches suppôts des tyrans sont capables des plus grandes faiblesses pour prolonger de quelques heures leur misérable existence.
Si l’on n’eût pas été devant un tribunal de sang, les applaudissements auraient éclaté : la Ficelle se taillait à grands coups d’éloquence une belle popularité dans l’armée.
Il reprit :
– Le capitaine m’a donc avoué avoir reçu de l’argent pour s’embusquer dans la maison et tirer comme si les coups partaient de nos rangs, afin de permettre aux redoutes ennemies de nous mitrailler.
Désignant un des prisonniers :
– L’homme que voilà était spécialement chargé de tuer le commandant Saint-Giles.
Il y eut comme un frisson de joie dans la foule.
Mais la Ficelle reprit :
– Comme je connais le capitaine Pierre pour avoir déjà trahi le 20 mai à Lyon, je lui demandai pourquoi il avait enlevé (la Ficelle souligna le mot) le citoyen Saint-Giles. Il me répondit qu’il avait été payé par la maîtresse de celui-ci, parce que, craignant de n’être plus aimée du citoyen Saint-Giles, attendu qu’il avait appris qu’elle était une ci-devant, cette aristocrate sans pudeur, comptant sur la victoire des insurgés royalistes, voulait tenir son amant en prison et à sa disposition.
Ici, la Ficelle ajouta un trait passé sous silence par Saint-Giles dans sa déposition :
– Il parait même, d’après ce que le capitaine Pierre a su et m’a appris, que le citoyen Saint-Giles s’est pendu de désespoir dans sa prison, ayant averti qu’il se suiciderait si elle ne lui faisait point rendre la liberté. C’est après avoir coupé la corde, que l’ex-baronne, la ci-devant Quercy, aurait enfin exécuté sa promesse de délivrer le prisonnier.
– Est-ce vrai, commandant ? demanda le président à Saint-Giles.
Celui-ci répondit :
– Oui.
– Pourquoi ne l’avez-vous point dit ?
– Par pudeur et pour ne pas avoir l’air de vous disputer ma tête, vouée par moi aux balles ou à l’échafaud.
En ce moment, Dubois-Crancé fit un pas en avant.
Tout le monde se tut.
Évidemment, Dubois-Crancé allait intervenir.
Le vieux colonel qui présidait et qui avait derrière lui tout un passé sans peur et sans reproche, n’admettait pas cette immixtion illégale dans les débats. Il savait que s’opposer à une volonté de Dubois-Crancé, cette volonté fût-elle contraire à la loi, c’était risquer sa tête ; il la risqua.
– Citoyen représentant, dit-il, je te ferai observer, avec toute la déférence que je dois à ton caractère, qu’il m’est impossible de te laisser parler devant la cour sans que je t’en aie donné l’autorisation en vertu de mes pouvoirs discrétionnaires. Or, je ne dois t’entendre que comme témoin. Comme témoin, mais seulement comme témoin, as-tu quelque chose à dire ?
– Non, répondit Dubois-Crancé.
– Alors, citoyen, je ne t’accorde pas la parole. Retire-toi.
Un long murmure d’admiration salua cette ferme et digne injonction du vieux soldat.
Il ne déplaisait pas aux plus terribles représentants envoyés en mission de rencontrer des résistances honorables ; cela prouvait qu’ils savaient céder devant la loi et le droit.
Dubois-Crancé sourit et dit au vieux colonel :
– La cour martiale est
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