La Bataillon de la Croix-Rousse
garçon spirituel qui frondait volontiers son chef, mais celui-ci, sur un ton plus impérieux :
– Arrêtez cet homme, au nom de la République !
– Mais, citoyen, qui donc vous mènera au salon où madame vous attend ?
Deux hommes (dont la Ficelle) mirent la main sur Jean.
– Bien, dit alors Sautemouche satisfait, tu es notre prisonnier.
– Maintenant, conduis-nous au salon !
Jean comprit le caractère de Sautemouche et lui dit d’un air humble et en affectant la crainte :
– Citoyen, je suis à vos ordres, croyez-bien que… que… Enfin, citoyen, je… je… ferai tout ce que vous voudrez.
– C’est le seul moyen de sauver ta tête de la guillotine qui est arrivée cette nuit avec les quatre représentants du peuple ! dit Sautemouche.
– La guillotine ! dit Jean en frissonnant. Oh ! monsieur Sautemouche, vous ne me feriez pas guillotiner.
– Aussi facilement que de tuer une punaise, si tu me caches quelque chose ou quelqu’un dans la maison ! dit Sautemouche d’un air farouche. Il se crut sûr de tenir son homme, et se faisant moins terrible, il dit à Jean :
– Allons, vieil esclave, ne crains rien, si tu me montres tout, les hommes, les femmes et les choses : les femmes surtout !
Et insistant :
– Il y en a une… la petite émigrée… c’est celle-là que je tiens à pincer.
Promenant le tranchant de sa main sur le cou de Jean :
– Si tu ne me la livres pas, tu seras raccourci : c’est toi qui inaugureras la guillotine de Lyon.
– Citoyen, dit Jean à voix basse, allons d’abord au salon, là vous questionnerez madame. Si elle ne vous donne pas satisfaction, nous ferons la perquisition…
– Et nous trouverons la baronne ?
– Je ne sais pas s’il y a une baronne ici : mais, s’il y en a une, je vous donnerai les moyens de la découvrir. Seulement…
–… Seulement, tu veux que je te jure de sauver ta tête.
– Oui.
– Eh bien ! je m’y engage.
– Merci, monsieur Sautemouche.
Et Jean, ouvrant la porte du grand salon, introduisit le municipal et sa bande. Il les annonça d’une façon assez originale :
– Ces messieurs de l’emprunt forcé ! dit-il.
Sautemouche ne vit dans le salon que M me Leroyer, et il éprouva devant elle la gêne qui saisit toujours un homme mal élevé, en présence d’une femme distinguée. Il salua gauchement et dit :
– Madame…
Il ne put dire autre chose. Mais, à sa grande surprise, M me Leroyer l’accueillit le sourire aux lèvres, et avec une affabilité charmante :
– Ah ! fit-elle, si j’avais su avoir affaire à vous, monsieur Sautemouche, j’aurais eu moins peur.
Au domestique :
– Jean, des sièges à ces messieurs.
À Sautemouche :
– Voyons, monsieur Sautemouche…
– Appelez-moi citoyen ! dit Sautemouche d’un air farouche.
– Citoyen, je ne demande pas mieux : mais alors appelez-moi citoyenne et non madame, comme vous avez fait.
– Moi.
– Je m’en rapporte à ces citoyens qui vous ont entendu.
– C’est vrai, dit la Ficelle qui faisait avec plaisir de l’opposition à ses supérieurs.
Il était enchanté que Sautemouche fût en faute.
– Eh bien, dit celui-ci, citoyen ne suffit pas, on se tutoie en République.
– Les latins se tutoyaient, dit M me Leroyer ; le tu ne m’effraie pas.
Avec bonne grâce :
– Nous avons donc, citoyen, à causer emprunt d’abord et à perquisitionner ensuite.
– Causons.
Elle enveloppa Sautemouche d’un regard séducteur qui troubla ce fantoche. La Ficelle, échappé sain et sauf, comme nous l’avons vu, aux coups de Saint-Giles, accompagnait Sautemouche, et, fin connaisseur, il appréciait et admirait fort M me Leroyer. C’était une femme de quarante ans à peine qui s’était mariée à seize ans et qui était restée fort belle, étant brune, et d’un teint d’une fraîcheur admirable. Sautemouche se sentit fasciné.
– Oui, dit-il, causons ; j’espère, citoyenne, m’entendre mieux avec toi qu’avec ton mari qui me tenait la porte fermée au nez.
Madame Leroyer se fit affable.
– Il ne faut pas trop en vouloir à mon mari, dit-elle ; chacun a ses défauts, et ceux de M. Leroyer sont d’être fort ménager de son bien et trop à cheval sur ses droits. Ce n’est pas un grand crime.
D’un ton caressant :
– Il y avait quelque chose de fondé dans ses protestations ; mais je lui ai fait
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