La Bataillon de la Croix-Rousse
selon la mode du temps, ornaient les quatre murs du boudoir.
Son visage fin, épanoui, spirituel, s’encadrait dans les cadenettes que les soldats d’alors portaient, nattes splendides chez la baronne à laquelle cette mode permettait de garder ses beaux cheveux du blond qui se rapproche le plus du châtain, nuance très délicate qui s’harmonisait avec la bouche souriante et mignonne, avec les yeux bruns, provocants et moqueurs.
Elle était petite, mais de proportions heureuses ; le galbe, chez elle, jambes, hanches, épaules, se modelait en rondeurs qui provoquaient les caresses de la main.
Comme toutes les petites femmes gracieusement taillées sur ce modèle, elle était vive, pétulante, remuante.
La queue tressée et enrubannée de ses longs cheveux sautillait constamment et ce coup de fouet continuel était éblouissant pour le regard.
En ce moment, dans une pose si bien étudiée qu’elle paraissait naturelle, la baronne tirait ses bas blancs sur son mollet à nu, le pantalon relevé, et elle semblait fort embarrassée pour mettre une guêtre.
Penchée comme elle l’était, sa chemise s’entr’ouvrait, laissant voir une gorge aussi ferme que celle d’une jeune fille et d’un contour rappelant celui d’un œuf coupé en deux, vu par le plus petit côté.
Étienne en perdait contenance.
Les parfums féminins le saisissaient aux narines : le désir entrait en lui par tous les pores.
M me Adolphe lui jeta un regard.
Elle semblait lui dire :
– Elle est à toi. Prends-la.
La baronne, de l’air le plus naturel du monde, paraissait faire de sérieux efforts pour réussir à se guêtrer, mais elle n’y réussissait pas.
Elle demanda :
– Eh bien, madame Adolphe, et ce crochet à boutons que je vous avais priée de trouver ?
L’Auvergnate se frappa le front et cria énergiquement, mais laconiquement :
– Fouchtra…
Et sans autre explication, elle sortit en courant.
Ce juron étonna dans ce boudoir : cette fuite brutale laissa un vide.
Il y avait là une maladresse grossière, évidente.
– Elle oublie toujours quelque chose, cette vieille folle, dit Étienne qui sentit cette faute.
– Pas le moins du monde, fit la baronne en haussant les épaules.
Et d’un ton froissé :
– Cette vieille folle, comme vous dites, mon cher Étienne, a tout simplement supposé que je serais enchantée d’être seule avec vous.
Puis sur un ton narquois :
– Elle vous a prévenu qu’elle s’en irait, n’est-ce pas ? Et vous, grand niais que vous êtes, vous n’avez pas protesté.
Sévèrement, le sourcil froncé et la lèvre boudeuse :
– À votre nourrice, je pardonne, mais…
– Ce n’est pas ma nourrice ! protesta Étienne humilié.
– À madame Adolphe, reprit la baronne, je pardonne cette impertinence : cette femme ignore que nous ne sommes que des camarades, des amis.
« Quand une jeune femme fait d’un jeune homme son valet de chambre, il est permis de supposer que ce n’est pas pour enfiler des perles.
« Cette Auvergnate, qui manque de tact et de pénétration, a donc pu se forger des imaginations absurdes.
Étienne, sous le mot absurde, baissa la tête et se mordit les lèvres.
– Mais vous, dit la baronne, vous avez laissé cette femme dans son erreur ; voilà une petite lâcheté.
– Oh ! madame la baronne.
– Il n’y a pas de baronne ici il n’y a qu’un fifre en colère : et, puisque vous êtes arrivé la tête enluminée, le feu aux yeux, puisque vous vous êtes laissé mal conseiller par ce vieux mauvais sujet d’Auvergnate, une hypocrite, vous ne boutonnerez pas mes guêtres.
Se moquant de sa mine piteuse :
– Oh ! je sais ! Ça vous aurait fait plaisir. Les petites femmes sont très agréables, même à ceux qui ne sont pas épris : on a toujours plaisir à chausser un pied bien fait, et je me pique d’avoir la cheville bien attachée.
– Madame la baronne ! balbutia Étienne étourdi par ce persiflage.
– Inutile. J’ai tout compris, tout deviné ; c’est un complot.
– Je vous jure…
– Il ne faut jurer de rien, ni rien jurer, pas même que je ne vous aimerai pas un jour… lorsque vous serez d’Étioles.
Il tressaillit et crut pénétrer dans la pensée intime de la baronne.
– Oh ! ce nom de Leroyer, s’écria-t-il furieux, je le maudis !
– Gagnez vite l’autre ! dit-elle avec un charmant cynisme, et en attendant, allez me
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