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La Bataillon de la Croix-Rousse

Titel: La Bataillon de la Croix-Rousse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Noir
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ces conditions, les choses se passaient entre individus, comme d’habitude en pareil cas   : les hommes sans armes et isolés des deux partis allaient, venaient sans être molestés, alors même qu’ils portaient l’uniforme qui distinguait les bataillons bourgeois ou la carmagnole des Jacobins.
    Du reste, les bataillons mêmes n’étaient point tellement homogènes qu’il n’y eût dans chacun d’eux des hommes d’opinions opposées.
    L’épuration commençait seulement à se faire.
    La baronne avait parfaitement deviné l’état des esprits.
    Voilà pourquoi elle s’aventurait à grimper jusqu’à la Croix-Rousse.
    Pour quoi faire   ?
    Question insoluble pour Étienne qui supposa ce que l’on voulait lui faire supposer, c’est-à-dire qu’il s’agissait de haute politique.
    S’il avait entendu la baronne questionner les gens, une fois arrivée à la Croix-Rousse, il eût compris qu’il s’agissait d’une affaire de cœur.
    La baronne demandait aux passants et aux boutiquiers   :
    – Savez-vous, citoyens, où demeure le citoyen Saint-Giles   ?
    Saint-Giles était populaire   : tout le monde savait son nom   : mais il n’était pas riche, et il se logeait comme les petits rentiers de Lyon.
    Il en résultait que la maison qu’il habitait n’était point somptueuse, peu de personnes la connaissaient.
    La baronne eut donc à questionner beaucoup de monde.
    Elle put se convaincre que Saint-Giles était l’idole de la Croix-Rousse   : la population se montrait très-émue, très-secouée par la nouvelle des blessures du caricaturiste.
    Comme toujours, l’esprit de parti dénaturait les faits.
    – Oui, mon amour de fifre, disait une vieille ouvrière à la baronne, ils l’ont assassiné pour se venger de lui, parce qu’il les crayonnait.
    Une jeune fille désolée répondait   :
    – Je l’ai vu, moi, citoyen, je l’ai vu cinq fois, oui, cinq fois   ! Un si beau garçon, si franc, et qui riait si bien   ! Il va mourir   !
    Elle avait, la petite ouvrière, une larme prête à éclore et qui ne demandait qu’à perler sur les cils   : mais elle la retenait et rougissait sous le sourire moqueur du fifre, qui lui dit   :
    – Eh mais, tu étais amoureuse, citoyenne.
    Elle ne dit pas non et soupira fort.
    La baronne, en ayant trouvé par dizaines dans ces sentiments, conclut qu’une enquête bien menée aurait prouvé que toutes les fillettes de la Croix-Rousse étaient folles de Saint-Giles.
    Les hommes ne parlaient que de le venger.
    – Celui qui a fait le coup, c’est un bedeau, disait un charbonnier, un ancien bedeau qui commandait à de faux mariniers. Il y avait un curé réfractaire dans la bande.
    – Canailles   ! ils voulaient le noyer dans la Saône   ! disait un ouvrier.
    – C’est la garde nationale qui l’a sauvé, faisait remarquer un autre   ; mais elle ne croyait pas avoir affaire à lui, sans quoi elle l’aurait laissé massacrer.
    – La preuve, disait le charbonnier, qu’on n’a pas arrêté le bedeau, auteur du crime.
    Et les commentaires se suivaient, brillants de fantaisie, étincelants de contradictions, n’ayant pas le sens commun et prouvant que le peuple lyonnais, le plus calme et le mieux doué de toute la France sous le rapport de la logique, était tout aussi capable qu’un autre de déraisonner en politique.
    Enfin, la baronne trouva un libraire, crieur du journal de Saint-Giles, qui lui donna l’adresse du jeune homme.
    Elle y courut.
    La reconnaissance la portait et lui donnait des ailes.
    Saint-Giles habitait une de ces maisons qui bordent l’escarpement de la montagne, du côté du Rhône.
    Du petit atelier qu’il avait fait disposer, l’artiste jouissait d’une vue splendide.
    À ses pieds, le fleuve, au loin les montagnes   ; sur sa tête, le ciel bleu. Il pouvait rêver à son aise.
    Et il rêvait souvent.
    C’était une de ces natures qui sont douées de la double puissance du rire et des larmes.
    Il avait ses heures de mélancolie, ce caricaturiste qui saisissait si bien les ridicules   : comme Molière, il était capable d’aimer tendrement et de souffrir cruellement.
    Jamais il ne s’était bien guéri de la blessure que lui avait laissée au cœur la mort de son père qu’il adorait.
    Seul protecteur, seul gagne-pain de sa mère et des petits orphelins, il avait senti peser sur lui le poids des lourdes responsabilités.
    Les premières années avaient été difficiles et les privations avaient préservé

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