La Bataillon de la Croix-Rousse
l’originalité de son caractère et de son talent.
C’était une séduction.
De plus, la baronne avait admiré dans l’atelier de Saint-Giles, ce drame de l’amour qu’il avait si bien raconté avec son pinceau.
La baronne était friande de volupté : elle avait la fantaisie de l’esprit, le caprice du cœur et l’embrasement des sens.
Elle avait aussi la curiosité des raffinements du plaisir : mais elle avait surtout l’horreur de la banalité et de la grossièreté.
De là pour une femme aussi audacieuse mais aussi raffinée que la baronne, une vive attraction pour Saint-Giles.
Et maintenant, elle le tenait.
Elle avait tissé autour de lui l’inextricable réseau des fils dont elle avait voulu l’enlacer.
Il était à elle.
Ah ! Il ne voulait pas d’une maîtresse aristocrate.
– Très bien !
On lui offrirait une grisette.
Et quelle grisette irrésistible.
En tendant son verre pour boire le champagne que fit mousser Saint-Giles, elle lui dit, avant de le laisser se prononcer :
– Tu sais que moi, tout ce que j’en dis, c’est pour rire et plaisanter. Je sais bien qu’en somme, un garçon d’avenir comme toi ne peut pas épouser une ouvrière qui, la pauvre petite, t’aime bien naïvement par reconnaissance et ne songe guère à cette folie de devenir ta femme.
– Et pourquoi pas ?
– Allons donc !
– Je t’ai déjà dit et je te répète que je ne me marierai que par amour, sans m’arrêter à aucune autre considération.
– Mais alors, voyons, elle aurait des chances, ma cousine, car, ton Adrienne, on la dit d’un maigre à faire le pain d’un chat de gouttière. Et puis elle est folle.
– Je le crains, dit Saint-Giles.
– Enfin, buvons toujours à l’amour n’importe pour qui.
– À l’amour, dit Saint-Giles.
Il porta son verre à ses lèvres, mais il remarqua une expression railleuse dans les yeux du fifre et cela l’intrigua.
– Toi aussi, s’écria-t-il en reposant brusquement son verre sur la table, toi aussi, tu te moques de moi !
Il venait de se souvenir des facétieuses et, selon lui, stupides observations du père Rateau, à propos de la continence dont il avait fait preuve à l’égard de la petite baronne.
Furieux, il fit une sortie éloquente ; et il conclut :
– Si j’avais séduit ta cousine, disons le mot, violenté cette jeune fille, car c’est user de violence que d’abuser de la loyale confiance d’une femme, on m’aurait méprisé. Je la sauve et je la respecte, on me blague et je suis jocrisse. Je la respecte et je remporte sur moi une victoire héroïque car elle est charmante, ta cousine ; je me suis tenu à quatre dans le fiacre et l’on se gausse de moi, comme d’un jobard.
Brisant son verre à champagne, il s’écria avec une conviction superbe :
– Moi, je m’estime.
Il était si beau ainsi qu’elle ne put y résister.
Elle se leva, l’arracha presque violemment à la table, le couvrit de baisers, et lançant son habit déboutonné par dessus sa tête, elle lui dit :
– Mais embrasse-la donc ma petite cousine, puisque tu l’aimes et qu’elle t’adore…
Ah, c’était bien autrement irrésistible que dans le fiacre !
La baronne, sa chemisette entr’ouverte ! Saint Antoine y eût succombé.
Le jour pointait.
Saint-Giles avait ouvert les fenêtres de salon et l’air frais du matin entrait vif et piquant, caressant les cheveux de la baronne qui riait à gorge déployée.
La baronne avait jeté sa veste de fifre par dessus les moulins et Saint-Giles perdu la tête : mais voilà que maintenant, après les heures d’affolement où ils s’étaient abîmés tous deux dans l’océan des réalités et des rêves de l’amour, la raison revenait à Saint-Giles.
La baronne attendait et guettait ce moment.
L’heure de la lassitude est l’heure dangereuse de la passion ; la baronne le savait.
Saint-Giles, après avoir médité, se retourna et dit :
– Tu étais le marchand de journaux ?
– Parbleu ! fit-elle très crâne.
– Tu étais… ta cousine…
– Morbleu, oui !
– Mais qui es-tu ?
Elle fit la nique, sauta sur son bonnet de police, le mit sur le coin de son oreille, fit le salut militaire et dit :
– Je suis le fifre !
Et elle s’en alla en sifflant une fanfare de chasse.
Jamais homme ne resta plus penaud que Saint-Giles. Il se dit :
– Serait-ce donc Châlier qui aurait raison ?
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