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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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remportait du succès, cela pouvait gruger la clientèle, même dans la région de Québec.
    L'après-midi, le garçon retrouva Fernand Dupire sur le Champ-de-Mars, juste devant l'église protestante de langue française. Le fils de notaire demanda d'entrée de jeu :
    —    Tu as vu les journaux, ce matin ?
    —    Non, pas encore.
    —    Il n'y aura pas de débat contradictoire aujourd'hui. Lomer Gouin a relevé le gant. Toutefois pour contredire un peu Bourassa, il a proposé un affrontement au carré Viger, sous la fenêtre de notre chambre.
    Edouard regarda son compagnon avec une mine interrogative, puis déclara :
    —    Je ne comprends pas: il a accepté, et il n'y a pas de débat...
    —    La police interdit absolument toute assemblée de ce genre à Montréal. Il semble qu'après la course folle dans les rues, hier soir, les nationalistes soient perçus comme de dangereux anarchistes susceptibles de mettre la ville à feu et à sang.
    —    Et tu crois ces explications? Je parie que Gouin a commencé par s'assurer de l'interdiction de tenir un débat par les forces de police, avant d'accepter de rencontrer Bourassa en public. Comme cela, il peut donner le change, sans devoir livrer la marchandise. C'est un orateur tellement médiocre...
    La belle température du début de juin attirait une foule de badauds sous leurs yeux, sur le Champ-de-Mars. Des musiciens, juchés sur un kiosque, commençaient à accorder leurs instruments. Des femmes élégantes se promenaient dans les allées du petit parc, une ombrelle à la main pour se protéger des rayons du soleil.
    —    Nous restons ici afin que tu te rinces l'œil ? demanda Fernand, en suivant le regard de son compagnon vers une jeune femme blonde particulièrement jolie.
    —    Nous sommes venus pour aider la cause nationaliste, alors je me soustrairai à la tentation pendant deux ou trois heures. Allons au Monument-National afin de voir si Olivar Asselin saura nous confier une mission aussi passionnante qu'essentielle à la victoire.
    Il fallait une bonne dose d'enthousiasme pour désigner de cette façon des heures de porte-à-porte, afin de convaincre des libéraux vieillissants de commettre une petite infidélité envers le premier ministre.
    Peu préoccupé par les qu'en dira-t-on, Édouard préférait tout de même commettre ses péchés les plus graves loin de ses voisins. À cet égard, la grande ville promettait un anonymat supérieur à celui de Québec. Quant à son compagnon, ses hésitations faisaient douter de son intention d'aller jus-qu'au bout.
    Le duo se présenta d'abord dans une pharmacie située rue Sainte-Catherine, un peu au-delà de l'intersection de la rue Mansfield. Pour ce genre de démarche, se présenter dans un établissement canadien-français ne donnerait rien. Le contrôle clérical s'exerçait trop durement sur eux. Un long moment, ils se perdirent dans la contemplation de cannes et de béquilles, le temps qu'une dame quitte les lieux avec un petit sac de papier brun. Puis Édouard s'approcha du comptoir de chêne pour demander dans son meilleur anglais, d'une voix tout de même hésitante :
    —Je voudrais un condom... je veux dire deux, corrigea-t-il en regardant son compagnon à la dérobée.
    —    Pardon ?
    Le commis, un homme d'une quarantaine d'années, le fixait les sourcils levés, affichant une telle surprise qu'un témoin aurait pu croire que le mot ne figurait pas dans son vocabulaire. Le garçon pensa un moment à utiliser le terme rubber, mais justement, la version en caoutchouc de cet accessoire ne lui disait rien.
    —Je veux deux condoms, en intestin de mouton.
    Pour connaître la simple existence de cette protection prophylactique et la façon de l'utiliser, Edouard avait espionné certains échanges discrets entre les plus âgés et les plus dégourdis parmi les élèves du Petit Séminaire, sans compter sa lecture régulière des publicités de quelques revues américaines «pour hommes». Que de secrets admirables un périodique voué à la mécanique automobile ou à la chasse recelait !
    Restait à savoir si cette nouvelle science serait récompensée.
    —    Etes-vous marié ?
    —    Comment ?
    —    Etes-vous marié ? Sinon, ce genre de produit ne vous sera d'aucune utilité.
    —    ... Bien sûr, je suis marié.
    Un commis de pharmacie de langue anglaise pouvait-il se révéler aussi obtus que ceux de langue française ? Le garçon découvrait avec

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