La belle époque
commémorations de ce genre ?
— Je faisais partie du spectacle offert dans le cadre de l'Exposition universelle de Chicago, en 1892. Nous avons en quelque sorte sauvé cet événement, qui ne marchait pas très bien avant notre arrivée.
— La célébration du quatrième centenaire du voyage de Christophe Colomb, ajouta James, un peu admiratif.
American Horse s'éloigna afin de compléter la répartition de sa grande équipe entre les tramways. L'assistant du metteur en scène le rejoignit dans le premier d'entre eux. Au moment où les voitures commencèrent à rouler, il remarqua plusieurs centaines d'hommes près de la gare, vêtus d'uniformes militaires, formant les rangs. Ces miliciens venus des quatre coins du Canada devaient rejoindre leur camp, établi dans le parc Savard. De nombreux autres monteraient leurs tentes de l'autre côté du fleuve, à Lévis.
Dans le cliquetis des roues de fonte sur des rails d'acier, les tramways poursuivirent leur progression jusqu'à la Haute-Ville. Les passagers allaient de surprise en surprise : la plupart se trouvaient pour la première fois dans une ville. Si des badauds les contemplaient depuis les trottoirs, eux admiraient les grands édifices de pierre ou de brique, les rues pavées. Trente minutes plus tard, ils descendirent la Grande Allée, puis s'engagèrent à pied dans le chemin menant à leur grand village de toile, érigé à l'ouest des plaines d'Abraham.
James McDougall conduisit son détachement vers des tentes éclairées à l'électricité. Cette anomalie illustrait bien à elle seule toute l'ambiguïté des commémorations historiques : le passé mis en scène était reconfiguré en fonction des fantasmes du présent.
Alors que les familles se distribuaient les tentes de forme conique, rappelant celles des plaines de l'ouest plutôt que les cabanes des indigènes de l'est, American Horse demanda encore :
— Où sont les costumes ?
— Dans la petite construction, là-bas. Nous avons tout fait préparer en diverses tailles. Il faudra que vos employés se les répartissent au mieux entre eux. Vous comprenez que nous n'avions les mensurations de personne. Tout le monde devra porter le sien dès demain matin, et pendant toute la durée des festivités. Des visiteurs vont sans cesse venir dans ce village.
L'Amérindien lui adressa un sourire en coin, puis murmura:
— Etes-vous déjà allé au zoo de Londres ?
— ... Oui.
— Ici, c'est juste un peu mieux : il n'y a pas de cage.
Le jeune Écossais tourna sur lui-même pour regarder les tentes formant des rangées bien droites. Dès le lendemain, des centaines de curieux circuleraient en ces lieux, désireux de voir de près ces terribles Sauvages à qui le cinéma américain donnait une nouvelle popularité.
— C'est le contrat que vous avez signé, précisa-t-il, un peu embarrassé.
— Et que nous allons honorer, conclut l'homme en tendant la main.
James la serra, puis se décida à regagner son hôtel à pied. En plus d'être payées, ces personnes se voyaient offrir leurs costumes de scène. D'un autre côté, ils seraient en représentation toute la journée, afin que les bonnes gens de Québec puissent se familiariser avec leurs mœurs primitives... dans des tentes éclairées à l'électricité.
Le lendemain, tout de suite après son retour de la messe, Édouard monta dans sa chambre pour redescendre bientôt, vêtu de son « suisse ». Quand il prit sa place à la table familiale, son père l'interpella en riant:
—Je ne croyais jamais voir cela: mon fils affublé de ce costume de laine ridicule en plein cœur de l'été. Tu t'ennuies à ce point du cours classique ?
— Tu le sais bien, c'est à la demande des dirigeants de l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française. Cet accoutrement doit nous identifier, un peu comme les rubans ou les baudriers portés par les membres d'une société fraternelle lors d'une parade.
— Afin de montrer à nos bonnes gens que les collégiens de partout, les élites de demain, marchent en rangs serrés et dociles derrière nos saints curés, pour la gloire de Dieu et la grandeur de la nation.
Le garçon lui adressa un sourire contraint et remarqua en secouant la tête :
— Quand tu parles comme cela, on dirait oncle Alfred.
— Ce qui prouve que malgré toutes ses facéties, il connaît parfois des moments de grande lucidité.
—Je me demande
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