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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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cette réunion d'un laïc et d'un religieux, comme si le passé ne pouvait exister sans la présence de l'Église. Le président de la société Saint-Jean-Baptiste de Québec, l'avocat Adjutor Rivard, lui succéda. Croyant être un littérateur de talent, une prétention dont doutaient tous ses contemporains, il prononça une allocution longue et ampoulée. D'une avalanche de mots, Edouard ferait un compte rendu très succinct à son père : du haut du ciel, assis sur un nuage, Samuel de Champlain bénissait la nation catholique et française d'Amérique.
    Surtout, l'orateur se crut obligé de déclamer La Prière du Canadien français au père de la Nouvelle-France. La première strophe suffit à assommer le jeune homme :
    Depuis ce jour, Champlain, bon Français de Saintonge,
    Où ta barque accosta Vancien Stadaconé,
    Depuis qu'à coups de hache a pris forme ton songe,
    A l'horloge du temps trois cents ans ont sonné!
    Et nous, fils des héros qu 'un triple siècle embrasse,
    Sur ta tombe, devant ton image, à genoux,
    Partout le cher pays où nous baisons ta trace,
    Nous t'allons demandant, nous ton sang, nous ta race:
    O Père ! es-tu content de nous ?
    Heureusement, les autres strophes commises par le Français Gustave Zidler, l'«oncle» des Canadiens français, lui échappèrent totalement. Après le O Canada chanté de nouveau avec âme, alors que les drapeaux Carillon-Sacré-Cœur battaient au vent, la foule hurla trois fois son «Vive le roi». Dans les secondes suivant la fin de l'interminable pièce oratoire et ces exclamations patriotiques un peu contradictoires, le garçon joua des coudes pour rejoindre son ami Fernand et lui proposer:
    — J'ai mis deux bières dans la glacière avant de quitter la maison. Tu en veux une ?
    Les nationalistes avaient joué leur partition à la marge des grandes fêtes du tricentenaire de Québec. Il ne restait plus qu'à attendre les grands personnages avant que les choses sérieuses ne commencent.
    Le lundi 20 juillet, pendant que l'eau remplissait lentement la grande baignoire de porcelaine blanche, Eugénie contempla son reflet dans la psyché, une activité peu compatible avec la modestie et le mépris du corps un peu maladif enseignés au couvent.
    Elle demeurait gracile, avec quelque chose de l'adolescence encore, malgré ses dix-neuf ans bien révolus. Sa peau très pâle ne présentait aucune marque, aucun défaut.
    Du bout des doigts, elle apprécia la souplesse de ses seins, pinça un peu la pointe d'un rose si léger qu'il se distinguait à peine. Leur petitesse lui tira un soupir déçu. Si aucun des jeunes hommes ayant fréquenté le salon familial depuis quelques mois n'avait exprimé autre chose qu'un intérêt poli, cela tenait-il à sa poitrine menue et à ses hanches étroites ?
    Bien sûr, la jeune débutante ne tenait pas compte du regard énamouré de Fernand Dupire. Parfois, elle craignait
    que la bave se mette à couler sur le menton de cet admirateur.
    —    De toute façon, ce sont tous des benêts, soupira-t-elle, lassée.
    Ce jugement péremptoire sonnait faux. Bien sûr, aucun d'entre eux ne cadrait vraiment avec ses attentes de couventine romantique et rêveuse. Québec manquait terriblement de princes charmants. Toutefois, que de jeunes avocats ou médecins lèvent le nez sur elle la blessait cruellement. Elle avait beau clamer son indifférence, même la très douce Élise Caron n'arrivait plus à dissimuler son scepticisme.
    Au moment où Eugénie tendit les doigts afin de vérifier si l'eau du bain demeurait à la bonne température - le chauffe-eau alimenté au charbon avait la fâcheuse habitude de se vider très vite -, le flot du robinet d'eau froide se tarit soudainement. Elle joua avec la poignée, laissa glisser entre ses lèvres un gros mot que les ursulines ne lui avaient certes pas enseigné, puis passa la tête dans l'embrasure de la porte pour crier :
    —    Elisabeth, il n'y a plus d'eau.
    Le ton exprimait un certain reproche. Sa belle-mère se trouvait dans sa chambre, à quelques pas. Elle arriva très vite.
    —    Un instant, je passe mon peignoir, bredouilla la jeune fille.
    Cela tenait bien sûr à la pudeur apprise chez les religieuses. Surtout, elle entendait trop de remarques sur la silhouette de cette femme pour désirer permettre à celle-ci de faire la comparaison. Quand elle eut enfilé le vêtement de satin rose, elle ouvrit la porte et s'effaça pour la laisser entrer.
    —    Seul le robinet

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