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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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avec Marie Buteau, Thomas gardait un masque maussade. Même la vue d'une multitude de personnes déambulant dans les rues avec des seaux ou d'autres contenants pleins d'eau n'arrivait pas à le faire sourire. La ville devait assurer une distribution d'urgence avec de grandes citernes montées sur des charrettes tirées par des chevaux de labour. Depuis la matinée, prendre le tramway devenait une aventure périlleuse, compte tenu des à-coups lors des arrêts et des départs. Tous ces contenants de fortune se vidaient à moitié sous le choc, avec comme résultat que les passagers sortaient de l'aventure trempés.
    L'homme marchait devant, Elisabeth à son bras, sur le chemin Saint-Louis. Trois pas derrière, Edouard et Eugénie suivaient en silence, se demandant bien quel sombre secret de famille pouvait engendrer pareille tension. Après de longues minutes, Thomas murmura :
    —    Tu crois que c'est une bonne idée ?
    —    Que veux-tu dire ?
    —    Rencontrer Marie. Tu ne crains pas d'empirer les choses ?
    —    Penses-tu qu'elles pourraient être pires ?
    Son époux songea que oui, vraiment, la situation pouvait dégénérer. Par exemple, sa belle-sœur pouvait hurler de nouveau ses accusations, cette fois avec une audience plus vaste que celle du grand magasin.
    —    Elle a raison de se sentir meurtrie, continua Elisabeth dans un souffle. Je pense qu'en parler avec moi rendra les choses plus faciles.
    —    ... Je ne doute pas de tes talents de pacificatrice, mais dans ce cas précis... C'est un peu comme avec notre aînée...
    L'homme prononça les derniers mots encore plus bas, en jetant un coup d'œil vers l'arrière. La question du voyage en
    Europe demeurait toujours en suspens. Seule la représentation théâtrale sur les plaines avait permis de réduire un peu la tension au domicile de la rue Scott, la vanité de la demoiselle se trouvant un moment satisfaite.
    —    Cela te surprendra peut-être, mais la rancune de Marie me semble moins dévorante que celle de ta fille.
    La jeune femme demeura silencieuse un moment, puis poursuivit :
    —    Mais bien sûr, après m'avoir rappelé mon échec avec cette dernière, tu n'augmentes pas mon niveau de confiance face au défi que je viens de me mettre sur les épaules.
    Thomas serra légèrement la main posée au creux de son coude droit, en guise d'excuse. Au moment où la famille dépassait l'intersection de l'avenue Dufferin, sur la Grande Allée, elle fut arrêtée par un attroupement qui débordait des pelouses du palais législatif jusque sur le trottoir.
    Les hérauts d'armes montés sur leur palefroi, vêtus d'une cotte de mailles sur laquelle ils avaient enfilé une tunique ornée de l'écu de familles nobles françaises, une lance tenue bien droite, formaient deux haies martiales de chaque côté du «roi d'armes» nommé théâtralement Montjoie-Saint-Denis. La commémoration de la fondation de la ville de Québec s'encombrait d'une multitude de symboles très romantiques sortis tout droit d'un Moyen Age de fantaisie, nourri par la littérature populaire.
    —    Voilà donc le fameux crieur public qui excitait si fort l'ineffable Honoré-Julien-Jean-Baptiste Chouinard, ricana Thomas à mi-voix. Depuis des mois, il nous casse les oreilles avec ses réminiscences des romans de Walter Scott. Ce gars-là a maille à partir avec la chronologie.
    —    Et avec la géographie, commenta Elisabeth. Cet auteur est écossais.
    —    Mais certains de ses romans se déroulent en Angleterre, ou même en France, précisa Edouard, compétent en ce genre de chose.
    Montjoie-Saint-Denis ne portait pas de lance, mais plutôt un grand parchemin qu'il déroula à demi avec affectation, pour annoncer d'une voix forte :
    —    Oyez ! Oyez ! Oyez ! Citoyens de Québec, manants et bourgeois. La vieille cité qui fut le berceau de la Nouvelle-France célèbre par des fêtes grandioses le troisième centenaire de sa fondation. Des milliers d'étrangers venus de toutes les parties du Canada, des Etats-Unis et des pays de l'Europe, sont dans nos murs. Recevez-les bien; soyez hospitaliers, et préservez soigneusement cette réputation de politesse et de courtoisie que vos ancêtres vous ont léguée.
    Un murmure d'approbation parcourut la foule. En bougeant, des personnes heurtaient le seau ou le pot de chambre bien plein porté par un badaud sur deux, avec pour résultat de renverser la moitié de leur contenu sur le pavé, ou plus

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