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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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consenties aux matelots... et moins confortable que l'appartement du commandant.
    Dans cet espace lilliputien, tous les deux se trouvaient l'un contre l'autre. Avec un effort, ils auraient pu ne pas se toucher, mais Harris n'entendait pas prendre ses distances, au contraire. Ses grands bras encerclèrent le corps gracile en même temps que, du talon, il fermait la porte. Sa bouche chercha l'autre bouche, ses mains, tout ce qui offrait la moindre sensibilité aux caresses.
    Le prince de Galles paraissait s'ennuyer ferme, et les heureuses élues désignées pour lui tenir compagnie, bien perplexes. Une petite mise en commun au cours de quelques entretiens à mi-voix leur permit de constater que le futur souverain ne maîtrisait guère l'art de la conversation. Après les salutations, il adressait à chacune, et toujours dans le même ordre, les trois mêmes questions: «Que fait votre mari ? » « La température est-elle toujours aussi magnifique à
    Québec, en juillet? » et «Des bals de ce genre se tiennent-ils souvent dans l'année ? » Et, quelle que soit la question posée par son interlocutrice, il donnait trois réponses, toujours les mêmes et dans le même ordre: «Oui, Québec est une ville magnifique» «Ma femme, ainsi que mes enfants, se portent très bien» et «Malheureusement, je partirai avant le lever du jour, le 29 juillet».
    Les Québécoises d'un certain âge aimaient les visiteurs, surtout si distingués. Madame Lomer Gouin, encore tout étonnée d'avoir entendu : «Ma femme, ainsi que mes enfants, se portent très bien » en réponse à sa remarque sur la dégradation des relations avec l'Allemagne, conclut généreusement que le grand homme ne maîtrisait peut-être pas le français aussi bien que l'affirmaient les journaux. Si elle avait consulté ses concitoyennes de langue anglaise, elle aurait constaté qu'à une question sur la situation en Irlande, une demoiselle Devlin avait reçu exactement le même constat rassurant sur la santé de la famille princière.
    Thomas Picard, quant à lui, se tenait loin du fauteuil d'honneur, alternant les valses dans l'atmosphère suffocante du Salon vert et les promenades sur les pelouses du magnifique édifice. Le couple croisa le gouverneur général Grey qui, de son côté, revenait d'un petit aparté discret avec sa jeune maîtresse, présente sur les lieux.
    —    Madame, salua-t-il avec un regard appuyé et une inclinaison de la tête.
    Puis il enchaîna :
    —    Picard, étiez-vous sur les plaines, ce matin ?
    —    Malheureusement, ne vivant pas de rentes comme les grands du royaume, je gagnais ma vie, ce matin.
    Elisabeth lui serra discrètement le bras pour lui rappeler les bons usages. Le comte Grey marqua une pause, puis
    poursuivit un ton plus bas :
    —    Oui, bien sûr. Après la revue des troupes, le prince m'a remis un chèque de quatre cent cinquante mille dollars. Ce sont les contributions populaires dont vous vous moquiez l'automne dernier, amassées penny après penny. La Commission du parc des Champs-de-Bataille pourra aménager le grand espace des plaines et procéder aux expropriations nécessaires.
    L'homme évoquait la manufacture de munitions Ross et l'horrible prison provinciale.
    —    La Commission nous dira si ce montant est suffisant. Avez-vous obtenu une estimation du coût de votre ange de la Paix?
    Thomas gardait lui aussi un bon souvenir de cette conversation, et surtout des rêves d'une statue monumentale, susceptible de rivaliser avec celle de New York, évoquée par le gouverneur général. L'autre répliqua, un peu embarrassé:
    —    Le moment ne paraît pas propice.
    —    Et le prix doit se rapprocher de celui d'un cuirassé.
    —    Si vous voulez m'excuser, je vois quelqu'un là-bas...
    L'auguste personnage adressa un signe de tête à Élisabeth,
    puis à Thomas, avant de s'esquiver.
    —    Les grands de ce monde ! Toujours quelqu'un à qui parler d'urgence si on leur pose une question embêtante, ricana le commerçant.
    —    Nous devrions sortir plus souvent, car tu perds le sens des convenances, remarqua son épouse, ironique.
    —    Je crois plutôt que mes sentiments républicains s'affirment de plus en plus, face à tout ce faste monarchiste. Mais je cache ce côté de moi à Édouard.
    —    Bonne idée, car à deux vous formeriez une belle équipe dans ce domaine aussi... Si un jour quelqu'un met en doute
    ta paternité, ne t'inquiète pas. De vrais

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