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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fois, le physique du futur notaire le servit : tout le monde lui donnait au moins cinq ans de plus que son âge.
    Il continua plus bas :
    —Mais ne faites aucune remarque à ce sujet. Il peut se révéler franchement dangereux.
    L'autre le regarda avec surprise, puis choisit de croire à cette histoire. Un moment plus tard, le garçon rejoignit son compagnon sous le petit pin, pour expliquer :
    —Non seulement mes vêtements sont ruinés, mais j'ai failli me faire casser la gueule par des gars de la campagne. Ils empestent la vache laitière.
    —    Mais apprécie le magnifique point de vue !
    Devant eux, plusieurs dizaines de verges plus bas, le fleuve paraissait d'un bleu profond. Toutefois, le morceau de gazon si invitant du haut de la pente se révélait dangereusement oblique. Ils durent se coincer les pieds dans une racine, Fernand suffisamment près du petit pin pour l'enlacer de son bras droit. Un moment, il regarda derrière lui, avant de s'exclamer :
    —    Je ne pourrai jamais remonter sans me blesser!
    —    Comme descendre jusqu'à la rive me paraît encore plus dangereux, tu trouveras un moyen. Dans le cas contraire, je dirai aux pompiers de venir te chercher.
    —    Comment se fait-il que je te suive toujours ?
    Edouard lui adressa son meilleur sourire, puis porta son
    attention sur le fleuve. Depuis quelques minutes, les chaînes des ancres dans les dalots produisaient un bruit clairement audible de la côte, alors que les cheminées crachaient une fumée grasse et noire. Bientôt, des cuirassés se déplacèrent afin de former une ligne droite sur les flots. Seul Y Arrogant demeura un peu à l'écart.
    —    Ils ont enlevé les bâches qui protégeaient le pont, commenta Fernand.
    —    Pour nous permettre de mieux voir. Regarde la quantité de drapeaux...
    Tout le long des superstructures, des câbles portaient une multitude de fanions et de drapeaux. Dans leur uniforme fraîchement lavé et empesé, les marins et les officiers formaient des lignes continues le long des rambardes de chacun des bâtiments. L'Arrogant avança très lentement en passant devant eux. A la proue, un dais souligné des oriflammes du prince de Galles abritait George au garde-à-vous, la main droite levée, pointée vers sa tempe. Les équipages rendirent ce salut l'un après l'autre, alors que les canons tonnaient dans une salve d'honneur.
    Le fracas se répercuta sur les rives. La moitié des spectateurs posèrent les mains sur leurs oreilles. Tous gardèrent la bouche ouverte, comme si le bruit leur coupait le souffle. Quand la revue de l'escadre fut terminée, les cuirassés s'engagèrent dans un ballet impressionnant. Ces Léviathans, lourds de plusieurs milliers de tonnes, se croisaient en faisant rugir toutes leurs bouches à feu, comme dans un affrontement naval. A la fin, des navires servirent de cible à des torpilles. Après deux heures de ces démonstrations, les bâtiments se rangèrent de nouveau à proximité des quais et le vacarme des chaînes dans les dalots signala le mouillage des ancres.
    —    Satisfait? questionna Fernand en regardant encore le flanc de la falaise, sceptique.
    —    Oui. Tu as contemplé un spectacle unique. Maintenant, nous savons ce que le Royaume-Uni veut dire, quand il demande au Canada de participer à la puissance de la marine impériale.
    —    La lecture des articles de journaux me suffisait. À l'avenir, tu vas défendre les impérialistes ?
    Le futur notaire affichait une mine surprise, comme si une pareille conversion idéologique lui paraissait improbable.
    —Je n'ai pas dit cela. Seulement, tu as vu ce qui rend nos compatriotes de langue anglaise ivres de fierté militaire.
    —    Je te le répète, tout était clairement expliqué dans les journaux du matin, maugréa Fernand. Inutile de se casser le cou pour cela.
    Les deux garçons attendirent que la majeure partie des spectateurs ait quitté les lieux avant de commencer la dangereuse ascension. Suant, soufflant et grommelant tous les gros mots de son répertoire, le tabellion y arriva en rampant.
    Pour la première fois depuis le début des festivités, Edouard agit selon les usages. Lavé, rasé et parfumé, son meilleur costume de lin sur le dos, il se présenta à la porte des Caron vers quatre heures. Invité à passer au salon, il occupa le fauteuil que lui désigna la maîtresse de maison, rassura celle-ci sur l'état de santé de chacun des membres de sa famille, apprit

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