Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
pour elle, et pour le travailleur. Une union entre eux était simplement inconcevable. L'évoquer ainsi tenait de la dérision. Melançon fit néanmoins bonne figure, serra les mains et s'esquiva. Il se passa deux minutes sans que personne ne vienne vers eux. Le parvis de l'église s'était vidé très vite, en comparaison des usages après la messe dominicale.
    —    Pouvons-nous y aller, maintenant ? grogna encore la grande adolescente.
    —    Nous irons nous asseoir dans le magasin, pour attendre la parade, puis nous rentrerons ensuite.
    Par une grimace, Eugénie exprima toute l'aversion que ce programme lui inspirait, sans oser protester toutefois. A huit heures trente, les membres d'une trentaine d'unions ouvrières portant les couleurs de leurs associations, regroupant ensemble quelques milliers de personnes, prirent le départ devant la Bourse du travail de la rue Saint-Vallier, un bureau de placement en fait, pour effectuer un grand tour de la ville. Sur leur chemin, de nombreux habitants avaient orné leurs maisons de fanions et de drapeaux, un peu comme ils le faisaient lors de la Saint-Jean-Baptiste, ou même du Carnaval.
    A neuf heures, le long cortège passa dans la rue Saint-Joseph. Au milieu d'une petite foule de badauds, la famille Picard regarda défiler des travailleurs en rangs serrés, certains d'entre eux portant des étendards aux couleurs de leurs associations. Dans le cas des Chevaliers du travail, les plus militants arboraient des chasubles rappelant celles des curés, brodées de motifs ambitieux. Sur celles des débardeurs se trouvaient de grands bateaux toutes voiles dehors.
    —    Vous n'avez aucun employé parmi eux, ragea encore Eugénie.
    —    Mes employés sont sur les trottoirs, grommela Thomas en songeant combien la prochaine année serait longue, avec cette demoiselle à la maison, puisque l'on ne pouvait plus l'expédier au couvent.
    —    Comme tu es un peu lente, intervint Edouard, je vais t'expliquer. Papa essaie de se montrer comme le meilleur patron aux yeux de toutes ces personnes, celui à qui on peut parler à tout moment, sans obstacles, sans gêne. Comme cela, aucune vendeuse, aucun employé ne trouvera utile d'organiser un syndicat. Nous faisons un petit effort pour avoir la paix pendant les années à venir. Si tu lisais autre chose que les pages féminines des journaux, tu saurais que des grèves ont éclaté cette année dans les usines de textiles, y compris celle
    de Montmorency.
    La grimace de la jeune fille lui signifia qu'elle ne projetait pas d'acquérir une meilleure compréhension de ce genre de choses un jour prochain. Edouard soupira et reporta son intérêt sur la parade. Une douzaine d'unions ouvrières, déterminées à se faire remarquer, présentaient de véritables chars allégoriques, comme lors de la Saint-Jean. Les charpentiers et les menuisiers, en particulier, se révélaient plutôt habiles de leurs mains, mais les plus imaginatifs étaient les marins et les débardeurs. Leurs deux associations avaient réalisé de véritables petits navires montés sur roues, avec à bord, en guise de voyageurs, leurs enfants qui saluaient de la main.
    La longue procession se termina enfin. Les spectateurs se dispersèrent aussitôt. Thomas chercha des yeux un fiacre ou une calèche, alors que sa grande fille tapait du pied sur le trottoir, fébrile d'impatience. Quand une première voiture se présenta, ce fut pour s'arrêter près du trottoir afin de permettre à son passager de descendre. Fernand Dupire se retrouva devant eux. Il déclara, en guise de salutation :
    —Je n'ai jamais vu un cocher si lent, et les rues si encombrées. J'aurais tout aussi bien fait de marcher.
    —    Tu ne savais pas? C'est la fête du Travail, ricana Edouard.
    Le jeune homme retrouva bientôt son savoir-vivre habituel, tendit la main à Thomas, puis à sa femme, en disant:
    —    Monsieur Picard, Madame...
    Ce fut en rougissant qu'il se planta devant Eugénie, ne sachant trop si la nouvelle nature de leur relation exigeait qu'ils se serrent la main. Pour le meilleur ami du petit frère, cela n'était pas nécessaire, mais pour l'amoureux éconduit, quelles règles s'imposaient ? A la fin, il bredouilla :
    —    Bonjour, Eugénie.
    —    Bonjour.
    Elisabeth surveillait la scène. Elle imaginait sans trop de mal ce qui s'était passé entre eux. Thomas rompit le silence gêné en demandant:
    —    Monsieur Dupire, pouvons-nous profiter de

Weitere Kostenlose Bücher