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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de faire la même chose ici.
    Le silence accueillit la déclaration, puis quelqu'un demanda :
    —    Que pouvons-nous y faire ? Il serait étonnant que la République nous demande notre avis.
    —    A tout le moins, nous pouvons faire connaître notre déplaisir.
    —    Comment ? questionna un autre.
    Dans une association vouée à la discussion et aux échanges d'idées, le réflexe de demander des directives demeurait bien ancré. Cela tenait peut-être à l'accumulation des années de
    soumission aux maîtres en soutane.
    —    D'abord, murmura le secrétaire de l'Association en levant les yeux du procès-verbal qu'il écrivait, en publiant des lettres dans les journaux.
    A son ton, chacun devina que ces lettres avaient déjà été rédigées.
    —    Le Soleil, l'organe du Parti libéral, ne les publiera certainement pas, commenta quelqu'un. Ces gens-là partagent souvent les idées de ces républicains.
    Un murmure désapprobateur parcourut la salle. La majorité de l'auditoire venait de familles libérales.
    —    Il y a encore La Vérité.
    Ce périodique, fondé par Jules-Paul Tardivel, l'enfant d'un Français et d'une Américaine, élevé aux Etats-Unis mais formé au séminaire de Saint-Hyacinthe, s'alimentait volontiers des articles monarchistes et racistes parus à Paris dans le journal La Croix. Le roman illisible de Tardivel, publié en 1895, intitulé Pour la patrie, faisait encore rêver une génération de jeunes gens à la séparation du Québec d'avec le Canada. Depuis sa mort survenue en 1905, son fils poursuivait son œuvre.
    —    Et aussi Le Nationaliste, suggéra un autre.
    —    C'est un journal de Montréal, s'opposa un troisième. On n'en achète pas cinquante copies dans notre ville.
    Après un silence, Antonio Perreault proposa :
    —    L'Evénement...
    —    Un journal conservateur, commenta Edouard, demeuré silencieux trop longtemps à son goût. Les fondateurs de l'ACJC, à moins que je ne me trompe encore une fois - mais comme l'un d'eux est ici, il pourra me corriger - ont recommandé de se tenir loin de la politique partisane.
    Dans la salle Loyola se côtoyaient des libéraux, des conservateurs moins nombreux, et des nationalistes. Chez les plus fervents, cette nouvelle étiquette devait gommer les autres. S'aligner trop nettement sur un parti entraînerait nécessairement la démission d'une fraction des effectifs.
    Directement interpellé, l'abbé Charrier, visiblement agacé, se leva de nouveau puis se tourna vers l'assistance pour expliquer :
    — Aujourd'hui, nous ne disposons pas encore d'un journal à grand tirage indépendant des partis politiques pour faire entendre notre voix. Cela ne tardera pas, surtout dans cette ville. En attendant, comme nous abordons ici une question susceptible d'affecter notre survie nationale, nous enverrons des lettres à tous les quotidiens. Nous identifierons facilement les amis de notre cause : ce sont ceux qui les publieront.
    Edouard n'en douta pas un seul instant, à Québec, seul L'Evénement accepterait. Au-delà des affirmations des fondateurs de l'ACJC, la connivence entre les nationalistes et les conservateurs avaient de belles années devant elle.
    — Nous devons encore aborder un dernier sujet. Vous savez tous que les autorités religieuses entendent souligner de belle manière le deuxième centenaire de la mort de monseigneur de Laval. En passant, je vous invite à éviter d'utiliser le terme bicentenaire: c'est l'un des nombreux anglicismes qui salissent notre langue. Notre association compte apporter son concours actif à l'organisation de ces fêtes.
    Edouard afficha un sourire discret. Au moment de quitter la maison, tôt ce matin, Thomas lui avait annoncé que ce sujet figurerait à l'ordre du jour du congrès de l'ACJC. Cet organisateur libéral y entretenait-il un informateur ?
    À son retour dans la bibliothèque de la demeure de la rue Theodore, cette fois sans poser la question, Wilfrid Laurier se dirigea vers une petite table où l'attendaient quelques bouteilles, versa du cognac dans deux verres et en tendit un à son visiteur au moment de se rasseoir.
    —    Je m'en veux de faire cela à Zoé. Il va sans doute reprendre son discours auprès d'elle.
    —    Et croyez-moi, il peut tenir longtemps. J'ai passé plus de six heures assis à côté de lui, dans un train qui s'arrêtait dans tous les villages. Je suppose que parler sans cesse l'empêche d'entendre le grand

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