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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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jeunes députés qui siègent à Ottawa à titre de libéraux indépendants peuvent se muer en conservateurs. Perdre la prochaine élection fédérale est une chose, affaiblir les libéraux au Québec se révélerait autrement plus dangereux, à long terme.
    —    Mais faire payer les gens de Kingston, de Calgary ou de Kamloops pour une fête de l'Amérique française tenue à Québec, c'est un suicide !
    —    A leur intention, il faut en faire une fête du Canada. Ce ne sera pas la première fois que vous ferez ce tour de magie.
    C'était bien là le défi quotidien de Laurier : les Canadiens français demeuraient convaincus qu'il n'en faisait pas assez pour eux, alors que les Canadiens anglais trouvaient que le moindre geste était de trop. Cela l'obligeait à tenir sans cesse un double discours.
    —    Je peux sans doute consacrer trois cent mille dollars à ces célébrations, la province de Québec, cent mille et la Ville tout autant, admit-il finalement dans un soupir. Cela devra suffire.
    —    Et dans un geste d'amour fou, le premier ministre de l'Ontario n'a-t-il pas aussi promis cent mille dollars? ricana Thomas.
    —    Mais celui-là dégrisera peut-être avant le jour de la signature du chèque.
    Les deux hommes sourirent en vidant leur verre, puis Laurier reconnut encore :
    —    Les délais demeurent terriblement courts. Puis il faut compter encore avec les aspirations du gouverneur général, Lord Grey. Ce gars rêve d'une grande messe impériale qui scellera notre union avec la mère patrie et fera de nous, les Canadiens français, les plus grands partisans de l'œuvre civilisatrice du Royaume-Uni sur tous les continents du monde. Il est aussi enthousiaste à ce sujet que votre ami Chouinard, sur un registre politique opposé.
    —    Vous devez donc trouver le moyen de célébrer à la fois l'Amérique française, le Canada et l'Empire ! Vos talents de magicien seront rudement sollicités, railla le visiteur.
    —    Non, mon cher Picard. Vous, je veux dire les gens de Québec, devrez trouver le moyen de faire cela. Moi, j'irai accueillir les visiteurs de marque et livrer quelques discours.
    Thomas posa son verre sur une table basse, puis déclara en faisant mine de se lever :
    —    Je m'en voudrais de vous retenir plus longtemps...
    —    Encore un moment. Vous avez jugé utile de mettre vigoureusement fin à l'assemblée d'Henri Bourassa dans Saint-Roch.
    —    C'est votre fief, je n'y tolérerai aucun de ces idiots. L'an prochain, votre majorité croîtra encore.
    —    Cette pluie de pierres, était-ce vraiment nécessaire ? La mère d'Armand m'a écrit...
    Officiellement, Armand Lavergne était le fils de son associé dans un cabinet d'avocats, nommé juge après l'accession des libéraux au pouvoir. La rumeur faisait de Wilfrid Laurier son véritable père. Si aucun sentiment amoureux n'avait existé entre le chef libéral et l'épouse de ce voisin, l'homme se révélait très fidèle en amitié, au point d'entretenir une correspondance quasi quotidienne avec Emilie Lavergne. De plus, il vouait une étrange affection à ce jeune politicien qui se révélait une épine dans le pied, au point de lui passer toutes ses frasques, même les plus dangereuses.
    —    Vous savez, expliqua le visiteur, mon fils se trouvait sur la même tribune, il a aussi reçu une pierre. Je pense même qu'il fut le seul de tout ce quarteron de militants à avoir versé un peu de sang.
    «Et il n'a pleurniché auprès de personne», aurait pu ajouter Thomas. Son interlocuteur comprit très bien le sous-entendu. Il se leva pour signifier que la conversation prenait fin.
    La maison de la rue Scott demeurait silencieuse. Thomas ne reviendrait d'Ottawa qu'en fin de soirée et Elisabeth se prélassait dans son bain, un roman à la main. Quant à Eugénie, Edouard préférait ne rien savoir de ses activités, comme elle des siennes. Sans doute rêvassait-elle dans sa chambre.
    —    Tu souhaites boire quelque chose ? demanda-t-il à son compagnon.
    —    Tu es certain?... commença Fernand.
    —    Vois-tu, c'est l'une des théories favorites de mon paternel. Le meilleur moyen de faire un ivrogne, selon lui, c'est d'interdire l'alcool. Depuis que je suis aussi grand que lui, je peux en prendre, mais mo-dé-ré-ment.
    Il insista sur le dernier mot en secouant son doigt, comme un maître d'école.
    —    Alors, tu en veux ?
    —    Un peu.
    Edouard versa un

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