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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Chambre. À côté de lui, vêtu d'une redingote noire, Louis-Alexandre Taschereau faisait tourner son verre entre ses mains. En plus du vêtement, son visage ingrat aidait à lui conférer une allure lugubre de croque-mort. Il pestait :
    —    Cette Légion d'honneur, c'est un cadeau de Grec.
    —    Vous oubliez que je n'ai pas fait mon cours classique, remarqua son interlocuteur avec un sourire en coin. Vous faites allusion au cheval de Troie ?
    —    Oui, oui, ce foutu cadeau au ventre bourré d'ennemis. Je constate que l'essentiel des humanités ne vous a pas échappé. Nous passerons des semaines à minimiser l'importance de cet honneur.
    —    Que voulez-vous dire ?
    Taschereau fit en sorte de tourner le dos au reste de l'assistance avant de préciser sa pensée :
    —    La République française, qui a clamé la séparation de l'Église et de l'Etat, et qui a chassé les religieux et les religieuses de ses écoles, vient féliciter notre premier ministre d'avoir créé les deux premiers établissements scolaires neutres de la province. Vous le savez, ici tout est contrôlé par les curés, de la première année du primaire à l'université... excepté nos deux grandes écoles techniques.
    —    Former des mécaniciens ou des charpentiers n'a rien à faire avec la religion, ou le catéchisme.
    Thomas avait assisté au lancement des travaux de construction de l'École technique de Québec, à deux pas de son grand magasin, en compagnie de tous les entrepreneurs enthousiastes de la ville. L'absence d'une main-d'œuvre qualifiée présentait un obstacle sérieux au développement industriel de la province.
    —    Vous expliquerez votre point de vue à l'archevêque Louis-Nazaire Bégin, répliqua Taschereau, ce qui vous vaudra une excommunication, sans doute. Notre ami français semble féliciter Gouin de s'engager sur le chemin de la laïcité scolaire.
    —    Après les articles publiés dans L'Evénement pour demander son rappel en France du fait de sa participation à la franc-maçonnerie, ce Dallemagne fait preuve d'une grande imprudence... au risque de nous mettre dans l'embarras, conclut Picard.
    — Justement, peut-être espère-t-il un rappel dans son pays avant les grands froids de l'hiver. Ces diplomates doivent préférer une nomination quelque part au soleil.
    Gouin terminait ses remerciements embarrassés, songeant déjà à la façon de se sortir du pétrin où on le mettait avec les meilleures intentions du monde. Avec des amis comme ce consul, les ennemis devenaient inutiles.
    Chapitre 8
    Le lundi 14 octobre arriva sans qu'une solution soit trouvée aux malheurs scolaires de Mathieu. Alfred Picard se souciait surtout de savoir qui était ce Pierre Grondin, pour estimer la menace réelle que ses allusions faisaient peser sur lui. Cette préoccupation ne rapprochait cependant pas son fils de la sérénité. Aussi celui-ci, après quelques jours de quiétude dans l'appartement du deuxième étage, dut se résoudre à affronter de nouveau l'adversité.
    Vers huit heures, le garçon se tenait debout sur le trottoir en face de la boutique, au milieu des passants qui allaient et venaient d'un pas rapide, pressés de se rendre au travail. Thalie ferma la porte derrière elle et déclara, au moment de se mettre en route :
    —    Je t'accompagne.
    Des larmes à la fois reconnaissantes et embarrassées montèrent aux yeux de Mathieu. D'une voix mal assurée, il protesta :
    —    Voyons, c'est inutile. Tu risques simplement d'attraper du mal. Ce Grondin est plus grand que moi, alors tu imagines bien que tu ne feras pas le poids.
    —    Tu vois quelqu'un de grand et fort pour t'accompagner, toi ?
    Il regarda autour de lui. Dans cette agitation, il ne repéra aucun protecteur. À la fin, il admit de mauvaise grâce :
    —    Non, personne.
    —    Alors tais-toi et viens.
    Elle prit sa main, regarda attentivement des deux côtés de
    la rue et s'engagea sur la chaussée juste après le passage d'un tramway. Bien vite, trop vite au goût du grand frère, ils arrivèrent rue Saint-André.
    —    Tu... tu n'as pas peur, toi? demanda Mathieu.
    —    Oui, bien sûr.
    —    Alors pourquoi ?...
    —Je ne laisserai pas un idiot m'empêcher d'accompagner mon frère, juste parce qu'il est plus grand que moi.
    Elle avançait d'un pas vif, les yeux fixés sur sa destination. Désireuse de faire de grands pas, ses talons claquaient sur les pavés. Le cordonnier

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