la Bible au Féminin 03 Lilah
la règle dans la ville basse ? Et, de toute façon, Ezra me l’a interdit. Il affirme que maître Baruch veut se faire mourir sans que la volonté de l’Éternel ne le réclame.
— Et alors ? demanda encore Axatria. L’excitation quitta les yeux de Sogdiam. Il passa les doigts sur ses lèvres craquelées et s’adressa à Lilah :
— C’est pour cela que je suis ici. Maître Baruch a décidé qu’il ne boirait ni ne mangerait tant que je ne lui cuirais pas son pain d’orge fourré. Que dois-je faire ? Où trouver les abats ? Je ne pouvais pas rester dans la ville basse à me morfondre. Qui pouvait m’aider, sinon toi ? Mais la neige, avec mes jambes, ça facilite pas, surtout la nuit. Je me suis perdu. Ezra m’a indiqué où était la maison, mais comment la trouver dans le noir, avec toutes ces rues et toutes ces demeures que vous avez ici…
Lilah était sans voix. Elle attira Sogdiam contre elle, lui embrassant les tempes pendant qu’Axatria disait :
— C’est bien, garçon, c’est bien. Dès qu’il fera jour nous partirons avec le char. On te cachera sous une couverture. Des abats, il doit y en avoir dans cette maison. Au cas où maître Baruch les voudrait vraiment. S’il est une chose bien certaine, c’est qu’il ne doit pas mourir de faim.
*
* *
Il y avait tant de monde dans la rue lorsqu’ils parvinrent chez Ezra que Sogdiam dut se faire reconnaître et donner de la voix pour qu’on leur cède le passage. Comment la nouvelle de l’agonie de maître Baruch s’était-elle répandue dans la ville basse ? Lilah l’ignorait. Il semblait que l’air lui-même en avait diffusé la rumeur.
Ils franchirent la porte. La cour de la maison, étrangement silencieuse, était, elle aussi, envahie de personnes. Lilah reconnut Zacharie. Elle courut jusqu’à la chambre d’étude.
Ezra, les yeux cernés par l’épuisement et la tristesse, se tenait sur son tabouret tout près de la couche de maître Baruch. Il se dressa quand elle entra dans la pièce. Il l’accueillit entre ses bras avec un soupir de soulagement. Avant qu’elle posât une question, il chuchota :
— Il respire encore.
Lilah s’agenouilla devant la couche du vieux maître. Les yeux clos, les traits paisibles, son visage reposait, enfin en paix, dans la douceur abondante de la barbe et de la chevelure. Lilah demeura un instant sans pouvoir faire un mouvement. La tendresse, la crainte et la tristesse l’engourdissaient. Elle fixa les lèvres et les narines du vieillard : elles étaient livides, sans le moindre signe de vie. Avec timidité, elle effleura son front. Il était à peine tiède. Ses joues n’étaient guère plus chaudes. Elle songea qu’il était trop tard. Ezra se trompait : maître Baruch ne respirait plus.
Sans qu’elle s’en rende compte, une plainte passa ses lèvres. Elle releva le visage vers Ezra. Sans un mot il secoua la tête et s’inclina, s’agenouillant près d’elle. Avec délicatesse, il plaça devant les narines de maître Baruch une fine plaque d’argent.
La mince buée d’un souffle le voila.
Sur le seuil, Sogdiam et Axatria avaient scruté leurs gestes. D’une voix à peine audible, Sogdiam demanda :
— Il respire encore ?
Lilah opina.
— En ce cas, ce n’est pas le moment de perdre notre temps, fit Axatria à mi-voix. Viens dans la cuisine.
Elle entraîna le garçon par la manche. Lilah entendit Sogdiam qui protestait :
— Pour quoi faire ?
— Son pain d’orge fourré.
— Tu es folle ! Il n’en mangera plus, dans l’état où il est.
— Qu’en sais-tu ? Il est vivant, il t’a demandé un pain d’orge, c’est tout ce qui compte. Viens, dépêche-toi d’allumer le feu dans le four.
Axatria avait raison. Elle prononçait exactement les paroles qu’aurait souhaité entendre maître Baruch. Lilah aurait voulu sourire.
Elle n’en eut pas la force. Elle s’assit sur le rebord de la couche. Ses épaules se mirent à tressauter sous la vague de sanglots qui l’envahissait. Ezra l’enlaça et l’attira à lui. Elle chercha ses mains, noua ses doigts aux siens. Elle mordit sa lèvre pour l’empêcher de trembler trop fort. Pour la première fois depuis des années, Lilah vit des larmes briller sur les cernes rougis d’Ezra.
Elle s’abandonna un peu plus contre lui. Leurs tempes se joignirent. Malgré leurs vêtements, Lilah sentait la chaleur de son corps. Elle avait presque oublié qu’Ezra avait un corps aussi jeune
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