la Bible au Féminin 03 Lilah
réponse à la bouche ! Pourquoi ton frère et pas un autre ?
— Parce que lui seul en est capable, ma reine. Lui et aucun autre.
— « Lui et aucun autre », se moqua Parysatis en singeant le ton de Lilah. Et, bien sûr, c’est toi qui en décides ! Un Juif de la ville basse, qui croupit au milieu de la boue et de la pauvreté en écoutant les jérémiades rancies d’un vieux qui devrait être mort depuis longtemps ! Et c’est lui qui doit être le guide des Juifs ?
Parysatis eut un rire aussi aigu qu’une crécelle. Lilah tressaillit, alors que des aiguilles par centaines se fichaient dans ses reins.
— Ah ! Tu vois, je te surprends. Parysatis sait plus de choses que tu ne crois. Je sais tout, fille Lilah, je sais tout ! Ne l’oublie jamais.
La reine grogna encore, mais avec plus d’indifférence. Elle sembla songer à autre chose, son regard redevint lointain et elle laissa s’installer à nouveau un long silence avant de poursuivre. Lilah crut entendre quelques miaulements du chaton sous la peau de léopard tandis que les autres chats jouaient sans bruit sous la couche de la reine.
— Tu demandes, dit brusquement Parysatis, mais qu’offres-tu en échange ?
Lilah se tut, baissant le front. Parysatis grommela, exaspérée :
— Voici ce que tu offres : ton frère part pour Jérusalem et toi, tu le suis.
Lilah ne releva pas le visage.
— Je veux entendre ta réponse, ma fille ! cria Parysatis.
— Oui, ma reine.
— Tu vas à Jérusalem et tu oublies Antinoès. Dans les reins de Lilah, les aiguilles étaient devenues des crocs.
— Oui, ma reine.
— Plus de promesse, plus d’épousailles. Plus d’Antinoès entre tes cuisses. C’est compris ?
— Oui, ma reine.
Le rire roucoulant de Parysatis fusa dans l’air épais, sinueux comme un serpent.
— C’est cela que tu venais me dire, n’est-ce pas ? Que tu as peur de moi et que tu me supplies de te laisser partir loin de ton grand amour. Adieu la promesse, adieu la promesse ! Mais tu es trop fière pour l’admettre. Pas courageuse, en vérité, seulement fière. Une petite fille fière qui joue à la dame, voilà ce que tu es. Maintenant, tu peux me remercier.
Lilah releva le visage. Malgré sa honte, les larmes ruisselaient sur ses joues.
— Merci, ma reine, murmura-t-elle.
Parysatis sourit, les paupières plissées, la lèvre supérieure retroussée sur ses petites dents. Les plis tout autour de sa bouche se propageaient sur ses joues et la vieillissaient de dix ans.
Elle retira sa main droite demeurée sous la peau de léopard. Elle tenait toujours le chaton, qu’elle lança aux pieds de Lilah. Il y roula et demeura immobile. Il était mort, la nuque brisée.
— Si tu veux un conseil de Parysatis, fille Lilah, fais en sorte que je t’oublie.
*
* *
Ses yeux étaient grands ouverts sur la nuit de la chambre. Les mots de Parysatis repassaient dans sa tête. Les miaulements et le corps mort du chaton, tout se mêlait, confus, effrayant.
Qu’avait dit la reine ? Qu’avait-elle dit elle-même ? Elle ne savait plus. Devait-elle comprendre que Parysatis allait l’aider ? Allait parler au Roi des rois, lui conseiller de faire venir Ezra devant lui ?
Comment savoir ?
S’était-elle seulement humiliée un peu plus, et cela en vain ?
Qu’avait-elle accepté ? Ne plus voir Antinoès.
Ne plus aimer Antinoès. Ne plus l’embrasser ni le caresser.
Pour rien, peut-être.
Encore et encore les mots de la reine, toute la scène vrillaient ses pensées comme une toupie lancée à l’infini.
— Lilah…
Elle était si bien plongée dans son effroyable ressassement qu’elle n’entendit pas le chuchotement.
— Lilah !
Elle devina une ombre. Elle n’était plus seule dans la pièce.
— Lilah…
Le temps d’un éclair elle songea à Antinoès. Antinoès qui profitait de l’obscurité pour la rejoindre, malgré les espions de Parysatis.
Mais non. C’était un parfum de femme qu’elle sentait. Une voix qu’elle reconnaissait enfin.
— Axatria !
— Pas si fort, inutile de réveiller toute la maison !
— Que se passe-t-il ? Pourquoi montes-tu sans lumière ?
Axatria lui poussait un châle entre les mains. Lilah résista, prête à protester.
— Chut, ne fais pas de bruit… Sogdiam est en bas, chuchota Axatria.
— Sogdiam ? Que fait-il ?
— Il te l’expliquera lui-même. Dépêche-toi. Axatria l’entraînait déjà vers la porte et les
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