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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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sais pas comment ils ont su que j’étais juif. Nous parlions
allemand, mais ils se méfiaient des gens à qui ils avaient affaire. Nous étions
presque tous des émigrés d’une sorte ou d’une autre. Ils m’ont dit :
« Écoutez, c’est bientôt Noël. » En Allemagne les conditions de vie
étaient très dures. Il était difficile de se procurer de la nourriture et des
vêtements. Ils auraient bien aimé envoyer des colis de Noël à leurs familles.
    Je leur ai dit : « J’ai ordre de tout faire pour
vous rendre la vie agréable. » Mais là, il fallait que je vérifie. Le
commandant de la compagnie m’a confié une voiture et m’a donné un millier de
dollars. Il m’a dit : « D’accord, tu les emmènes faire leurs courses. »
J’avais une voiture, un chauffeur, et ces quatre savants allemands. Wernher von
Braun, absolument resplendissant, avec ses yeux bleus, ses cheveux blonds et
tout ça. Les trois autres étaient bien plus petits. J’étais donc avec ces
quatre personnages, qui portaient tous de longs manteaux de cuir qui leur
descendaient jusqu’aux chevilles, et des chapeaux tyroliens avec des plumes. J’ai
dit : « Bon sang, c’est pas possible, personne ne doit savoir que
vous êtes ici. C’est un secret d’État. Vous ne pouvez pas vous promener comme
ça dans Washington. » Mais j’avais des instructions : « Tu les emmènes
faire leurs courses. » Alors, c’est ce que j’ai fait.
    J’ai eu une idée sournoise : je trouvais que ce serait
bien de les emmener dans un grand magasin juif. Alors je les ai emmenés chez
Landsberg Brothers. Nous avons commencé au rez-de-chaussée, et nous avons acheté
les trucs habituels : cacao, café, sucre, tout ce qui était rationné en
Allemagne. Ensuite ? « Nous aimerions envoyer à nos familles des
sous-vêtements. » Ils voulaient des culottes pour leurs femmes. Je n’avais
pas plus de dix-neuf ans et je n’avais jamais acheté ce genre de chose. Nous
sommes allés au rayon lingerie. Imaginez ces quatre personnages un peu bizarres,
avec leurs grands manteaux de cuir et leurs chapeaux tyroliens, au rayon des
culottes. Et en compagnie d’ein kleine Judenbube.
    La vendeuse a demandé : « Quelle taille ? »
Presque par réflexe, les règles à calcul sont sorties pour convenir les
centimètres eu pouces. Elle est revenue leur présenter une culotte de nylon. Mes
quatre prisonniers ont levé les mains au ciel, comme si tout cela avait été mis
en scène : «  Aber nein, Unterhosen nus Wolle und mit langen Beinen. » Des sous-vêtements en laine à jambes longues. Parce qu’il va faire très froid. Nous
n’en avons pas trouvé. Ensuite ? Ils voulaient acheter des soutiens-gorge.
La vendeuse se demandait vraiment ce que c’était que ces quatre types bizarres
qui s’approchaient. Ils ont encore ressorti leurs règles à calcul. À ce
moment-là la police militaire est arrivée et nous a tous les cinq embarqués en
prison. Les autorités constituées nous ont finalement libérés, et nous sommes
retournés à la boîte postale 1142. Tout cela au service de la nation.
    Les Allemands me prenaient vraiment pour un imbécile, ce que
j’étais censé être. Je les entends encore en train d’essayer de me convaincre
que s’ils bricolaient ces fusées c’était simplement pour améliorer le service
aéropostal entre Londres et Berlin. Ils voulaient parvenir à assurer une
liaison en huit minutes. (Il rit.) À ce moment-là j’ai éclaté de rire, ce
que je n’aurais pas dû faire.
    Ils essayaient de faire croire qu’ils n’avaient jamais
vraiment approuvé le régime nazi. Ils étaient des savants avant toute chose, travaillant
exclusivement dans l’intérêt du progrès de la recherche scientifique. Et un
beau jour nous arriverions dans la Lune. Ils soutenaient qu’ils ne
connaissaient rien à la politique. Ils savaient pourtant pertinemment en s’enfuyant
de Peenemünde qu’il valait cent fois mieux se faire capturer par les armées
occidentales que par l’Armée rouge.
    Ils avaient toujours une attitude parfaitement
condescendante. Ils savaient que je n’avais aucun pouvoir. Mon seul pouvoir c’était
de leur apporter du whisky, du jus d’orange et le journal. À un moment donné il
a même été question de leur fournir des femmes. Je ne pense pas que la chose se
soit réalisée, mais elle a été évoquée. Freud dirait que je fais un blocage
là-dessus.
    Nous avons tous été emmenés dans une île du

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