La bonne guerre
resté ? Presque tous les avocats de
Nuremberg avaient pris part à la guerre ; ils étaient en uniforme, ils
pensaient que ça allait être un procès de premier plan et qu’il leur serait
utile d’y avoir participé. Une fois qu’ils avaient eu leur content d’action ils
rentraient chez eux. Ils ne restaient pas jusqu’au bout. Les autres, ceux qui y
croyaient davantage, restaient.
Initialement je me suis rendu là-bas sans préjugés. Je
voulais voir ce qui allait se passer. Au bout de deux ou trois ans, je croyais
de plus en plus à ces nouvelles conceptions juridiques à la fois riches en
promesses et en difficultés. C’était une expérience unique. En revanche elle ne
m’a guère servi sur le plan professionnel.
Quand je suis retourné aux Etats-Unis, en 1949, j’avais déjà
la quarantaine. J’avais été absent pendant sept ans et je n’étais plus au
courant de la politique. Dans mon esprit Washington devait être tel que je l’avais
quitté en 1942. Or, en 1949 c’était devenu un endroit très différent. Quand j’étais
parti de Washington c’était encore la présidence Roosevelt, le libéralisme, l’action
sociale et tout ça. Quand je suis rentré à la fin des années quarante, c’était
la chasse aux sorcières…, la guerre froide. Je me suis senti complètement
désemparé. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.
Je me suis associé à d’autres avocats d’un cabinet très
réputé de New York. J’étais dans mon bureau mais personne n’y venait. Je n’avais
absolument aucune affaire. Tous les gens qui me connaissaient par les journaux
pensaient que j’étais général et pas avocat. Alors, je me suis mis à écrire un
livre parce que je n’avais rien d’autre à faire.
Je me suis bientôt retrouvé engagé dans des affaires m’opposant
à des comités du Congrès, y compris celui de McCarthy. Certaines des personnes
accusées par ces comités m’avaient choisi comme avocat. J’ai donc fini par
avoir des affaires.
J’ai fait quelques exposés sur ce sujet. Au Sarah Lawrence
College, deux cadets de West Point qui étaient dans la salle m’ont invité à
venir parler au congrès des cadets. C’était au moment où McCarthy avait lancé
une enquête sur Fort Monmouth, le centre de recherche des transmissions. À West
Point je leur ai dit tout net ce que je pensais de McCarthy et de ce qu’il
faisait à l’armée. À ma grande surprise c’est très bien passé. Ça a fait la une
du New York Times.
Ça n’arrivait pas au meilleur moment pour moi. Mes clients n’ont
bientôt plus été que des gens qui avaient des problèmes avec les services de
sécurité. Les autres ne voulaient pas d’un personnage aussi controversé pour
défendre leurs intérêts. Le commandant de West Point a été interrogé par le
département de la Guerre : « Comment avez-vous pu laisser ce type
venir parler aux cadets ? » J’ai été dénoncé au Congrès. Au lieu d’être
l’ange de la justice à Nuremberg qui punit les méchants, j’étais dénoncé comme
rouge.
De nombreuses années plus tard je me trouvais à Hanoï au
moment des bombardements de Noël 1972. J’essayais d’examiner les principes qui
nous avaient servi de référence à Nuremberg pour voir si nous ne les violions
pas au Viêt-Nam, si nous respections nos propres principes. Je suis arrivé à la
conclusion que plusieurs de nos actions au Viêt-Nam étaient en violation avec
les règles de la guerre. En revanche je ne pense pas que les bombardements du
Viêt-Nam du Nord puissent être considérés comme un crime au regard des lois de
la guerre. On aurait peut-être dû les considérer comme tels. Mais aucun
précédent ne nous permettait de le faire.
Pourquoi n’avons-nous pas bombardé le centre de Hanoï ?
Sans doute parce que les gens ont de plus en plus conscience des limites de la
guerre. Nuremberg a établi un code juridique et une jurisprudence auxquels il
faut bien réfléchir. Pourquoi y a-t-il eu d’aussi vives protestations au sujet
des massacres des camps palestiniens au Liban ? À mon avis parce qu’à
Nuremberg ces règles ont été systématiquement appliquées. Si je n’avais pas été
à Nuremberg je ne serais jamais allé à Hanoi.
Après tout l’Holocauste n’avait pas de précédent d’une telle
ampleur. Inimaginable ? Je ne sais pas. Je crains que les hommes n’aient
une puissance d’endurcissement illimitée face aux témoignages relatifs à de
tels faits. Quand
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