La bonne guerre
Surtout avec des barbelés en haut.
Il y avait une vieille Allemande qui s’appelait Anna, qui
était femme de ménage à l’usine. Elle m’avait pris en pitié, et elle m’apportait
des pommes en cachette. Par contre, on avait une espèce de sale brute de
contremaître ; son fils était prisonnier de guerre aux États-Unis, et il
était persuadé, avec la propagande que faisaient les Allemands, que là-bas on
le torturait. Et lui, pour la peine, il nous rendait la vie infernale. Il s’en
était pris à un gamin, Murphy, qui a fini par craquer.
Et puis, il y avait Alf, Alfred Winkler, un petit vieux, une
espèce de touche à tout. Je n’ai jamais vu un tire-au-flanc pareil. Il trouvait
toujours un coin pour se cacher et ils étaient toujours en train de gueuler :
« Alf Winkler, où êtes-vous ? » Au bout d’une heure on le voyait
apparaître : « Quelqu’un m’appelle ? » Alors, ils ont
décrété qu’Alf avait besoin d’un assistant rouquin d’un mètre quatre-vingt-dix (il rit), parce que moi, je ne réussissais pas à me faufiler dans ses
cachettes. Il avait autant besoin d’un assistant que moi. Le pauvre vieux était
consterné parce qu’ils le repéraient toujours à cause de moi.
Ils avaient besoin de tous les hommes bien portants au front :
en Russie ou sur le front de l’Ouest ; ce qui fait que nos gardes étaient
tous des handicapés ou des vieux. Parmi eux il y avait un instituteur qui avait
été rappelé, il avait à peu près soixante-cinq ans et n’était pas plus capable
de manier un fusil que de sauter d’un toit. Il y en avait aussi un avec une
jambe de bois, et puis un autre qui parlait pas mal anglais, dont le visage
avait été entièrement refait par la chirurgie esthétique. Il venait tout le
temps nous dire qu’on était vraiment cinglés de se battre contre les Allemands,
et qu’on ferait mieux de s’allier pour se battre contre les Russes.
Au stalag, parmi les prisonniers alliés, ils montaient un
truc qui s’appelait la légion de Saint-Georges. On était censés s’engager dans
cette légion et partir sur le front de l’Est pour se battre contre les Russes. Ils
essayaient de recruter des Américains et des Anglais. Je n’ai jamais vraiment
connu quelqu’un qui se soit engagé. Les Anglais disaient que c’était un dingue
qui avait lancé ça, un type qui avait perdu les pédales.
Je crois que c’est le jour de Pâques qu’on nous a distribué
des chemises de l’armée allemande. Les nôtres étaient complètement fichues. On
était allongés par terre dans la cour, et tout à coup voilà que six P 38
américains sortent de nulle part. Ils sont passés en rase-mottes, ils ont bien
vu toutes nos chemises de l’armée allemande. (Il rit.) Ils sont revenus
nous mitrailler, et lâcher quelques bombes sur l’usine.
Deux jours plus tard, un gardien vient nous trouver vers
minuit : « Les civils sont très énervés, ils veulent vous lyncher
parce que vous êtes américains. Les Russes ne sont pas loin, voilà ce qu’on
vous propose : on part avec vous vers les lignes américaines. Vous, vous
avez besoin de nous pour vous protéger des civils, et nous, on aura besoin de
vous quand on arrivera chez les Américains. Vous pourrez leur dire qu’on ne
vous a pas traités si mal que ça. » S’ils étaient tombés aux mains des
Russes, c’était réglé.
C’est comme ça qu’on est partis en plein milieu de la nuit
en direction des lignes américaines. On a rencontré un groupe d’une
cinquantaine d’Anglais, bien encadrés eux aussi. Le lendemain c’étaient des
Français, une bonne trentaine. Après, un lot de Hongrois, puis des Polonais. Ce
qui fait qu’en un rien de temps, notre petite colonne de vingt-trois s’était
passablement allongée. Les derniers ordres d’Hitler étaient de tuer tous les
prisonniers, et ça, il n’en était pas question. Quand Hitler s’est suicidé dans
son bunker, l’amiral Donitz lui a succédé. Son premier ordre a été de prendre
bien soin de tous les prisonniers, car ils étaient leur seule monnaie d’échange.
C’est comme ça qu’un jour, on avançait comme des malades vers les lignes
américaines. Les Américains faisaient une poussée, et on retournait vers les
Russes. Les Russes faisaient une poussée, et on repartait vers les Américains. C’est
comme ça que j’ai traversé six fois la ville de Meissen. Après, je commençais à
bien la connaître ! (Il rit.)
Et puis on a entendu
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