La bonne guerre
fait. Après, on s’est dégoté un
navire-hôpital pour rentrer aux États-Unis. On était de service aux cuisines, parce
que sur le bateau tous les autres étaient immobilisés.
Ils nous ont emmenés à Camp Shanks. Aux cuisines, il n’y
avait que des prisonniers allemands. On faisait la queue à la cantine, quand
devant moi, une espèce de grand escogriffe, un para, a demandé deux cartons de
lait. Vous connaissez l’esprit de discipline des Allemands, on leur avait dit
de donner un carton par homme. Alors l’Allemand lui a dit non. (Il rit.) Tout
le monde a sauté par-dessus le comptoir et on leur a mis une tête au carré. Au
camp, il y avait un régiment de Niseis, des Japs quoi, qui avaient
durement combattu en Italie, et qui étaient là pour se reposer. Le lendemain, c’est
eux qui étaient aux cuisines.
On a tous eu une perme de soixante jours pour rentrer chez nous.
J’ai touché toutes sortes d’arriérés de solde et d’indemnités diverses. Le gouvernement
allemand m’a versé quelque chose comme 350 dollars pour ma montre et les divers
objets qu’on m’avait volés. Au bout des soixante jours, j’ai reçu une
affectation pour Hot Springs – repos et remise en forme. Massages, bains, tout
le truc quoi. La ville était triste, mais un peu de tristesse ne m’affectait
pas trop à ce moment-là.
Puis j’ai reçu de nouveaux ordres : Fort Lawton, à
Seattle dans l’État de Washington. Départ pour l’invasion du Japon. On était assis
sur la jetée en train d’aiguiser nos baïonnettes, quand Truman a lâché cette
superbe bombe. Le plus grand truc de l’histoire. Tous ceux qui étaient assis
sur cette jetée, à ce moment-là, ne pouvaient pas faire autrement que de
trouver ça bien.
J’ai été tenté de rempiler. On me proposait de devenir
sergent-major, c’est le grade de sous-officier qui paie le plus. Qu’est-ce que
l’avais à l’époque ? Vingt ans ? J’aurais eu la retraite à
trente-sept ans. J’ai pas mal hésité. Je l’ai dit à ma mère et elle m’a répondu :
« Laisse tomber, je t’ai inscrit à Notre-Dame. »
Je dois dire que la loi sur les GI a tout changé pour moi. Je
n’aurais jamais pu me payer l’université. Je ne sais pas si j’aurais été
ouvrier, en tout cas je ne serais pas devenu ce que je suis maintenant.
Quand je repense à la guerre, malgré les moments vraiment
durs, ç’a sans aucun doute été pour moi la plus grande expérience de ma vie. Comme
le dit si bien un des personnages de Terry et les Pirates : « On
a filmé le dernier épisode sur la première bobine. » Ce que je dirais, moi,
c’est que se trouver si jeune au cœur du drame rend tout le reste accessoire.
Récits du Pacifique
Peter Bezich
« Disons que j’ai plus de soixante-deux ans, après
je ne veux plus compter. J’étais charpentier de formation, dans le bâtiment. Quand
l’ai quitté l’armée, c’est le boulot que j’ai choisi. J’ai fait ça pendant
trente-cinq ans. Je touche une retraite de charpentier, plus une pension de l’Oncle
Sam. Avec ça, je ne m’en tire pas trop mal. »
Il montre du doigt un des gratte-ciel de Chicago. « Voyez
celui-là, pendant toute sa construction, jusqu’en haut, je me suis baladé sur
les poutrelles. »
Avec son bon mètre quatre-vingts et sa corpulence, ce n’est
pas le genre d’homme à qui on cherche des histoires, même à son âge. « Je
pourrais aisément vous envoyer valser par-dessus mon épaule », et ce n’est
pas du bluff, je crois qu’il en a tout à fait les moyens.
« J’ai entendu le Grand Chef Blanc annoncer qu’on
avait été attaqués. Et en un rien de temps, tous les gars du quartier se sont
retrouvés sous les drapeaux. Dans tout le voisinage du stade des White Sox, on
formait une communauté très unie : des Irlandais, des Croates, des
Polonais, des Italiens et des Slaves. Tous de rudes travailleurs.
« J’ai été mobilisé en 1942, et quand je suis rentré
j’ai découvert que pas mal de copains du quartier y étaient restés. »
J’étais dans l’infanterie. Simple troupier. Je n’ai jamais
eu une arme entre les mains. Rien. On a fait nos classes au camp de Schofield
dans l’île d’Oahu, près d’Hawaï. L’étape suivante de la 24 e division :
Sydney, Australie. J’ai été affecté comme aide dans une des antennes médicales
de la Task Force. On a eu notre premier blessé. Le gars s’était fait renverser
par un tramway ! (Il rit.) Notre premier
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