La bonne guerre
je ne suis pas là pour… – comment est-ce
qu’on dit ? – pour perpétuer ce système. » Il a dit : « C’est
vous qui m’avez mis là. » Il refusait de travailler. Ils voulaient le faire
travailler comme mécanicien à un dollar cinquante de l’heure à réviser des
moteurs de Volkswagen ou un truc comme ça. Il leur à dit : « Je ne
suis pas venu ici pour travailler pour quelqu’un. » (Il rit.)
Ils lui en ont fait baver, et il a fallu que j’y aille. Le
gardien m’a prévenu : « Pete, vous êtes catholique, comme moi, je
vais faire en sorte que ce gamin file droit. » Je lui ai dit :
« On peut mener un cheval de force à l’abreuvoir, mais on ne peut pas le
forcer à boire. Vous n’obligerez pas mon fils à faire quoi que ce soit. Si vous
essayez, il y laissera sa peau. Mais s’il y laisse sa peau, je vous préviens, il
ne sera pas le seul. »
Ils l’ont tabassé en prison, Steve. Mais quand je lui
demandais ce qu’il pensait, il n’était jamais aigri. Je lui disais :
« Tu ne lui en veux pas à Hoffman ? » et il me répondait :
« Non, il joue le rôle que la société lui a attribué. » Il avait
essayé d’expliquer au juge Hoffman qu’il aurait bien aimé s’occuper d’oiseaux
ou quelque chose comme çà. Il aime les animaux, les oiseaux, les poissons. Ce
gosse, il aime la nature, il aurait voulu travailler dans les forêts.
Tous les voisins venaient, même ceux qui travaillaient dans
la police, tout le monde, et ils me disaient : « On est tous avec
votre fils. Si on peut vous aider d’une manière ou d’une autre… Faites-nous
signe. Tous disaient qu’il fallait un sacré cran pour faire ça. Dans le
quartier, il n’y avait pratiquement que des anciens de la Seconde guerre
mondiale.
Pour moi, cette guerre, ç’a été une expérience que je ne
voudrais plus jamais revoir, mais je suis heureux d’y avoir participé. Je crois
que si Hitler avait gagné ç’aurait été une catastrophe. On peut vraiment être
reconnaissants à tous les gars qui y sont restés.
Soyons honnêtes, au bout de quarante ans, on oublie. Les
gens s’habituent à tout et finissent par ne plus y penser.
Anton Bilek
On voit qu’il n’est plus tout jeune, mais il est resté
très sec, et il a gardé l’allure d’un ancien welter, ou peut-être d’un joueur de
base-ball du genre Eddie Stanky.
Il a un magasin de fleurs et des serres à Rantoul dans l’Illinois,
près de la base aérienne de Chanute. « Tout seul avec les fleurs, c’est
formidable, et elles, au moins, elles ne parlent pas.
« Avant la guerre, j’étais plutôt arriviste. Maintenant,
je me suis retiré sur la seule colline de la ville. Je me déplace très rarement.
Le matin, je me lève, je m’occupe de mes fleurs et le soir je rentre me coucher.
Je me prends mon petit bourbon et ma petite bière le soir, et je ne m’occupe
pas des autres.
« J’aimerais retourner aux Philippines. J’ai
tellement de souvenirs là-bas. Ils y ont fait le plus beau cimetière du monde
pour nos soldats. »
Des copains, j’en ai perdu plein. Dans notre escadron, on
était cent quatre-vingt-cinq au début de la guerre. Trois ans et demi plus tard,
quand on a été libérés du camp où on était prisonniers au Japon, nous n’étions
plus que trente-neuf. C’est à eux que je pense. À ces hommes avec qui je jouais
au base-ball, avec qui je travaillais, avec qui je vivais. Ils me manquent.
Je suis arrivé aux Philippines en 1940. J’y étais pour deux
ans. Je m’étais engagé en 1939, à dix-neuf ans. Il n’y avait pas beaucoup d’emplois.
J’avais toujours eu envie de construire quelque chose surtout des avions. C’est
ce que je voulais faire, mais je ne pouvais pas me payer les études pour ça. Je
suis tombé sur un petit dépliant : « Engagez-vous dans l’armée de l’air
pour y apprendre un métier. » Alors je me suis engagé. Je suis allé à la
base de Chanute, où j’ai reçu une formation de chaudronnerie. Après mon diplôme,
on m’a envoyé aux Philippines. Directement à Clark Field, à cent kilomètres au
nord de Manille.
Il me montre une photo de Clark Field en 1939. C’est
étonnamment nu et désolé.
Il y avait environ deux cent cinquante hommes là-bas, à
cette époque. Nous n’avions qu’un escadron de bombardiers, le 28 e . Moi,
je réparais les vieux B10. Tout était encore vraiment tranquille. Vers la mi-41,
des troupes ont commencé à arriver.
Jamais je n’aurais
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