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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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d’écart entre nous,
comme ça, si un chasseur jap arrivait, il n’aurait pas les deux camions. (Il
rit.) Ça faisait un paquet de BTU [8] là-dedans. Une belle explosion en perspective. Boum !
    La cabine de traction n’était pas bien adaptée à la remorque.
On avait cent cinquante bornes à faire dans de drôles de conditions. Au moindre
coup de frein, on se retrouvait dans les décors. C’est que ça fait un sacré
poids 12 000 litres d’essence. Si on se renversait, on était bons. On s’est
bien fait peur deux ou trois fois, mais on est finalement arrivés à Bataan sans
problème.
    Le sergent-chef m’a expliqué que désormais je faisais partie
du 28 e escadron de maintenance : secrétaires, chauffeurs, mécaniciens,
chaudronniers. On avait tous des fusils Springfield, et on nous a envoyés au
front comme fantassins. Certains des gars n’avaient jamais eu un fusil entre
les mains. Les mitrailleuses qu’on avait étaient toutes rafistolées, on les
avait récupérées sur les vieux P40 détruits. Notre boulot c’était de maintenir
en état les quatre derniers P40 qui nous restaient.
    Les troupes américaines étaient encore à Corregidor, à l’entrée
de la baie de Manille. Elles y avaient installé de gros canons pour repousser
toute tentative de forcer l’entrée de la baie. En mars 42, les Japonais
débarquaient de plus en plus d’hommes parce qu’ils n’arrivaient pas à percer
notre front. On leur menait la vie dure. On avait une artillerie formidable et
les éclaireurs philippins étaient remarquables. On leur a tenu tête pendant
trois mois environ.
    Pendant le dernier mois, du 3 mars au 9 avril, on n’avait
plus qu’un seul P40. On le retapait comme on pouvait. Le seul chasseur qui nous
restait avait l’air d’avoir attrapé la varicelle. Et on attendait toujours le
convoi. MacArthur nous disait qu’il était en route. Le président des Philippines,
Quezon, avait été personnellement assuré par le président Roosevelt que les
États-Unis feraient tout leur possible pour leur venir en aide. En fait, on ne
nous avait rien envoyé. On allait tout le temps voir si les bateaux étaient là.
Mais rien n’est jamais arrivé. Et pour cause. Un jour, un type se pointe avec
un brouillon de lettre pour le président des États-Unis : « Cher
Président, Je vous en prie, envoyez-nous un autre P40, le nôtre esttout plein de trous. » (Il rit.) On s’est bien
marrés avec ça.
    Ils ont finalement réussi à percer nos lignes, et on a
commencé la retraite vers la pointe de Bataan. On avait ordre de brûler et de
détruire tout le matériel. On a jeté tous nos outils, on faisait tout brûler, c’était
le chaos. (Longue pause, il sanglote doucement.) Saloperie. Imaginez
tous ces types qui rentraient du front sales et blessés pour essayer de
retrouver leur unité. (Très doucement.) Nom de Dieu. Des monceaux de
munitions sautaient dans tous les coins. On se serait crus dans un autre monde.
    Pendant qu’on se repliait, il y a eu un tremblement de terre
à Bataan. On était en train de marcher sur la route quand la terre s’est mise à
trembler. On ne sait vraiment pas quoi faire dans ces cas-là. On s’est dit :
« Ça y est, c’est la fin du monde. C’est l’apocalypse. On est partis pour
le grand voyage. »
    Le lendemain matin, on a reçu l’ordre de détruire toutes nos
armes et d’attendre l’arrivée des Japonais. Le général King avait livré Bataan.
Dès leur arrivée, ils nous ont fait mettre en rangs et nous ont fouillés. Tous
ceux qui avaient une montre, une bague ou des montures de lunettes en or, ils
les leur prenaient. Ils cassaient les lunettes en les jetant par terre et se
mettaient les montures dans la poche. Si on avait une bague, il fallait la leur
donner, si on ne pouvait pas l’enlever, le type vous appuyait sa baïonnette
dans le cou et attendait. Heureusement, moi, je n’ai jamais porté de bague, je
n’avais pas les moyens.
    Et on s’est mis en route. Imaginez une file interminable d’Américains
et de Philippins. Nous, ils nous ont fait mettre en queue de colonne. C’était
le début de la marche de la mort. (Long et profond soupir.) C’était une
marche de cent kilomètres. Depuis trois, quatre mois, on vivait sur des
demi-rations, même moins. Les hommes n’étaient pas très épais, à cela s’ajoutait
le choc. La sous-alimentation, la malaria et la dysenterie avaient déjà
commencé avant qu’on se rende. Les deux hôpitaux

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