La bonne guerre
prends le vôtre ?
Quand l’attaque a commencé, on est descendus de la colline. Les
deux types se sont précipités dans nos trous. Un obus est tombé en plein dedans
et les a réduits en bouillie. Si on était restés dans nos trous, on était cuits.
Ça sautait dans tous les coins. Ils nous canardaient sur la crête. Evidemment, quand
on se poste sur un sommet ils n’ont pas de problème pour nous voir. Trente et
un jours on y est restés avant qu’une autre unité vienne nous relever.
Un jour, j’étais en train d’évacuer un blessé. Je le portais
sur l’épaule. Je suis assez balèze, même encore maintenant. Je pourrais vous
envoyer valser comme un vulgaire sac de patates. Bon, bref, le type avait pris
une balle dans les reins. Après l’avoir amené à l’arrière, il fallait que je
rejoigne mon unité. En revenant, je me suis fait coincer par les Japonais. Je
ne pouvais pas bouger sans me faire tirer dessus. Il y avait un petit fossé, et
j’ai roulé dedans. Les balles sifflaient tout autour de moi. Alors j’ai enlevé
mon casque, je l’ai posé sur un bâton que j’ai planté de l’autre côté du fossé
et j’ai réussi à me barrer.
J’ai rejoint l’unité. Il y a un monument à Davao. Un jour, j’espère
bien aller le voir, parce que c’est vraiment là que j’ai frôlé la mort de plus
près. Le gars qui était à plat ventre à côté de là où je voulais me mettre m’a
dit : « Reste pas là, celui qui y était vient de se faire descendre. »
Je lui ai dit : « Ils vont pas viser deux fois le même endroit. »
J’ai roulé un peu plus loin. Nom de Dieu, qu’est-ce qu’ils nous mettaient. J’aimerais
bien y retourner, histoire de voir à quoi ça ressemble maintenant.
Il y a aussi Pinamalayan. C’est là que j’ai récupéré un
bateau japonais, un hors-bord. J’ai été un des premiers Américains à posséder
une prise de guerre. Je l’ai tiré sur la plage, parce qu’à chaque fois qu’on
sortait avec, les autres nous mitraillaient. Alors notre capitaine a dit :
« Ou vous peignez un drapeau américain dessus, ou vous ne vous en servez
plus. » Alors on l’a tiré sur la plage, et je l’ai donné au maire. Il s’appelait
Reyes.
On a même continué à s’écrire après. Ils m’étaient
reconnaissants d’avoir sauvé la vie d’une fille du coin. Elle avait été violée
par un Jap qui, après, lui avait tiré dans l’aine. Moi, j’ai rampé sous sa
maison pour la sortir de là. Une autre fois, on m’a demandé de la nourriture
pour une femme enceinte. En plus je l’ai aidée à accoucher. J’en ai soigné une
autre aussi qui était malade. Les maquisards philippins venaient me chercher, ils
m’appelaient Docteur York. Je ne sais pas pourquoi. Ils me donnaient des armes,
des œufs, des poulets. Tout ce que je voulais.
Ils ont fait un dîner en mon honneur quand je suis revenu
avec la Task Force. Ils m’ont porté sur leurs épaules sur au moins cinq cents mètres,
tout ça en l’honneur du docteur York. Avec les Philippins, vous deveniez un
membre de la famille.
Ils ont fait ouvrir le bistrot du coin pour arroser ça au tuba , cette espèce de tord-boyaux, de bière locale, et Reyes a foutu tout le
monde dehors en disant : « Mon fils est de retour », et tous les
soldats se sont dit : « Mais qui c’est son fils ? – C’est Pete, tu
sais pas ? » Et après ils ont fait ce dîner en mon honneur. Et puis, il
fallait goûter à tout sinon ils se sentaient offensés. Il y avait au moins dix
plats. (Il rit, commence aussitôt à pleurer et continue plus difficilement.)
Une fois de retour, il y a eu une période d’adaptation, parce
qu’il n’y avait pas de boulot à cette époque. J’ai adhéré au club des 52-20 [5] . Ils
auraient pu me refuser. J’étais outilleur quand je suis parti.
Ben ouais, on se battait contre le fascisme. Les gosses d’aujourd’hui
ils ne savent même pas ce que c’est que le fascisme. On a gagné la guerre, ça c’est
sûr, mais on a perdu la paix. Aujourd’hui le Japon et l’Allemagne – leur
technologie et leur économie sont drôlement supérieures aux nôtres. Même encore
maintenant je ne peux pas acheter de produits allemands ou japonais.
On était bien copains avec les Russes, hein ? Mon père,
il allait même à leurs réunions, aux fêtes de l’amitié américano-soviétique. Ça
c’était pendant la guerre. Et puis, il faut pas oublier qu’on est des Slaves
dans la famille.
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