La bonne guerre
pensé que les Japonais attaqueraient les
États-Unis. C’était tout à fait exclu. Donc on n’était pas trop inquiets. Les
alertes ont commencé à partir de novembre. J’étais l’assistant-mitrailleur du
vieux sergent Amos. J’avais une vieille mitrailleuse Lewis, qui datait de la première
guerre, un engin à refroidissement à air.
Le 8 décembre, c’est-à-dire le 7 ici, vers neuf heures, on a
eu une alerte. Tous les chasseurs et tous les B17 ont décollé. Je me suis dit :
« Ça y est, le général MacArthur vient nous rendre visite, et on lui fait
une petite démonstration. » Peu de temps après, les avions étaient de
retour. Il était aux environs de onze heures et demie. Je suis allé manger, puis
au foyer. Je feuilletais un magazine, et il y avait la radio. Soudain la
musique s’est interrompue : « Clark Field vient d’être bombardé. »
Le journaliste de Manille hurlait : « Les Japonais ont attaqué Clark
Field. »
Je me suis levé, j’ai regardé par la fenêtre, et je n’ai
rien vu. Tout avait l’air parfaitement calme. Je me suis assis et j’ai demandé au
type qui était à côté de moi : « T’as entendu ? » Il m’a
répondu : « Oh, tu sais, encore une de ces conneries. » Il se
répandait toutes sortes de bruits, et je me suis dit que c’était le moment ou
jamais de commencer un journal où je noterais tout ça, et que dans deux mois on
rigolerait bien en le relisant. Je suis allé à la chambre chercher un petit
carnet d’adresses noir que j’avais, et j’ai commencé à y écrire qu’on avait
entendu dire que Pearl Harbor avait été bombardé le matin même. Ça nous
paraissait complètement invraisemblable. Et voilà que maintenant on essayait de
nous faire croire que Clark Field avait été bombardé, alors que moi j’y étais, tranquillement
assis, et que je n’avais rien vu tomber. (Il rit.)
C’est à ce moment-là que le sergent-chef est entré en
hurlant : « C’est pas une blague les gars, les voilà qui arrivent. »
J’ai pris tout mon barda, mon fusil Springfield, modèle 14-18, j’ai mis mon
casque, mon masque à gaz et j’ai couru dehors.
J’avais à peine eu le temps de sauter derrière ma
mitrailleuse que les bombes commençaient à pleuvoir. Je me suis relevé et j’ai
dit : « Ah, ben alors, c’est ce bruit-là que ça fait ? »
Amos m’a attrapé par mon fond de culotte, et m’a couché par terre. Tout ça je l’avais
souvent vu aux actualités, tout ce qui se passait en Pologne et en Europe. Mais
quand ça vous arrive pour de vrai, ça fait un drôle d’effet.
Ils ont tout rasé. Ils n’y sont pas allés de main morte. Tout
y est passé. Tous les avions qui venaient de rentrer pour refaire le plein.
En fait quand nos avions avaient décollé le matin, les Japs
étaient effectivement venus. Ils avaient bombardé Baguio, au nord de Luçon, et
étaient retournés à Formose. Nos avions n’avaient pas pu les repérer, et
étaient revenus faire le plein. Ils n’avaient même pas vu que Baguio avait été
bombardé parce qu’ils étaient à plus de six mille mètres. Une fois rentrés, les
équipages sont allés à la cantine, et c’est à ce moment-là que les Japs sont
arrivés. Quand les Japonais sont repartis après nous avoir écrabouillés, il ne
restait plus rien ; avec Amos, on est sortis de notre trou, on n’en
revenait pas.
On a regardé autour de nous, et tout était dévasté, les
avions brûlaient, les hangars brûlaient, et les citernes brûlaient. Des hommes
hurlaient dans tous les coins, il y avait des morts et des blessés partout. Les
chasseurs japs en avaient poursuivi près d’une centaine, ils avaient mitraillé
tout ce qui bougeait. Amos s’était mis à leur tirer dessus avec notre vieille
mitrailleuse asthmatique. (Il rit.) Moi j’étais à côté avec les caisses
de munitions. Après leur départ, on était en état de choc.
Cela n’aurait jamais dû nous arriver. Nous des Américains, et
eux des Japonais. Ce n’était pas possible qu’ils nous bombardent. C’était comme
ça qu’on en parlait. (Il rit.) On nous avait toujours raconté qu’ils
portaient tous des lunettes et qu’ils ne savaient pas viser. Et ils avaient une
marine qui ne ressemblait à rien. Et c’était notre pétrole qu’ils utilisaient
et notre ferraille qu’ils récupéraient. C’était toujours ainsi qu’on les voyait.
Bon sang, comment ça a bien pu se produire ?
Pendant le mois qui a suivi,
Weitere Kostenlose Bücher