La bonne guerre
étaient pleins à craquer. La
péninsule de Bataan était le pire endroit des Philippines pour la malaria.
Les Japonais ont vidé les hôpitaux. Tous ceux qui pouvaient
marcher, ils les ont obligés à suivre la file. Tout le long de la route les
fossés étaient pleins de cadavres, il y en avait qui étaient tout gonflés, d’autres
des morts récents. Ceux qui tombaient étaient soit abattus, soit achevés à la
baïonnette et laissés sur place. On a perdu quelque chose comme six cents ou
sept cents Américains pendant les quatre jours de marche. Les Philippins près
de dix mille. À San Fernando, on nous a entassés dans des fourgons à bestiaux
pour nous emmener cinquante kilomètres plus au nord. Les wagons étaient
entièrement fermés, pas du tout aérés, et au soleil la température devenait
intenable. On ne pouvait pas tomber tellement on était serrés là-dedans. Plein
de types ont craqué et se sont mis à hurler. Après, ils nous ont encore fait marcher
une bonne dizaine de kilomètres jusqu’au camp O’Donnell qui avait été construit
hâtivement pour l’armée philippine. Il avait été bâti comme les huttes locales,
en bambou, en nipa et en herbes sèches. On ne devait pas être loin de neuf
mille Américains et cinquante mille Philippins. Les Américains dans un camp, les
Philippins dans un autre. Au bout d’un mois et demi il a fallu partir. C’était
le début de la mousson. Un ouragan avait détruit deux baraquements. Quatre-vingts
morts, écrasés sous les décombres.
C’est alors que je suis devenu aveugle. Pas définitivement
heureusement. Mais ça m’a foutu une de ces trouilles. J’ai passé deux semaines
à l’hôpital et le médecin, un Américain, m’a dit : « Je ne peux rien
pour toi. Ce qu’il te faut, c’est du repos. Et le plus de riz possible. Il n’y
a que comme ça que tu t’en sortiras. » C’est ce qui m’a sauvé. Il m’a dit :
« Au moins, tu échapperas aux corvées. » Les Japonais sont venus
chercher deux, trois cents gars pour leur faire réparer un pont qui venait de
sauter. Qu’est-ce qu’on a perdu comme hommes là-bas. Ils ne pouvaient plus
travailler davantage. Ils mouraient.
Il ne restait plus une place à l’hôpital. C’étaient des
bâtiments sur pilotis. On m’avait mis en dessous. Il y faisait frais. J’ai
commencé à enfler. J’avais le béribéri. Manque de vitamine Bl. Les reins
arrêtent de fonctionner. Les liquides ne s’évacuent plus. On gonfle comme un
ballon. Des gars mouraient tout autour de moi. Cinquante Américains par jour, et
environ 350 Philippins. On a enterré pas loin de 2 000 Américains au camp
O’Donnell. Et dans l’autre camp, ils ont enterré entre 28 000 et 30 000
Philippins.
Ils nous ont déplacés vers un autre camp à Cabanatuan, quatre-vingts
kilomètres plus loin. J’étais à l’arrière d’un camion. J’avais les testicules
gros comme un ballon. Je ne pouvais pas porter de pantalon. J’étais nu à partir
de la taille. Quelle balade !
Quand je me suis débarrassé du béribéri, j’ai attrapé une
dysenterie amibienne. Impossible de manger quoi que ce soit. On ne fait plus
que des glaires et du sang. Le mieux c’était de s’entendre avec un copain pour
qu’il vous fasse manger cette saloperie de riz. J’avais toujours en mémoire ce que
le docteur m’avait dit et je le mangeais. Maintenant, j’adore ça.
Les Japonais ne s’approchaient pas de l’hôpital. Ils avaient
peur d’être contaminés. Il y avait une salle commune à l’hôpital de Cabanatuan
qu’on appelait la salle Saint-Pierre. C’était là qu’on mettait les gars qui n’en
avaient plus pour longtemps. Ceux qui ne pesaient plus que trente-cinq, quarante
kilos et qui étaient devenus incontinents. Ils étaient à poil, à même le sol, on
les nettoyait, et on les poussait pour nettoyer par terre. Du 11 juin jusqu’en
novembre, on a perdu encore mille cinq cents hommes.
Ça c’était toujours en 42. Pendant les six premiers mois de
captivité, on a perdu environ quatre mille hommes. Presque un tiers des forces
qu’on avait sur Bataan. En plus de ceux-là, quand Wainwright s’est rendu, ils
ont amené les troupes de Corregidor.
À partir de ce moment-là, ils ont commencé à envoyer des
hommes au Japon. Ils avaient besoin de main-d’œuvre là-bas. Ils ont donc
embarqué seize cents hommes dans un vieux cargo. Ils avaient demandé à notre
commandant de choisir les plus valides.
Vers juin 43,
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