La bonne guerre
Alors je
lui ai dit que de toute façon je ne viendrais plus le voir.
Que s’est-il passé ?
Rien.
Quand la guerre a été finie, j’ai découvert que j’avais
perdu mes droits civiques à cause de cette condamnation. Je voulais avoir le
droit de voter, le droit d’être juré. Je suis allé à l’ACLU [9] , l’Union
pour la défense des libertés civiques, et j’ai engagé deux actions en justice. Toutes
deux sont allées à la Cour suprême et ont fait jurisprudence. Nous avons gagné
le droit de vote pour tous les condamnés pour les mêmes faits. De temps en
temps un jeune étudiant en droit vient me voir pour me dire que ça lui fait
plaisir de rencontrer quelqu’un dont on parle dans les manuels.
À l’armée comme en prison on perd son nom pour devenir un
matricule. En prison on m’appelait par mon matricule, et je ne répondais jamais.
Je leur disais : « J’ai un nom. Quand vous m’appellerez par mon nom
je vous répondrai. » J’ai passé la plus grande partie de mon temps au
secret. (Il rit.) On ne m’appelait pas très souvent.
Toutes les prisons se ressemblent. Toutes les guerres. Dans
toutes les guerres les deux camps s’entretuent pour des « principes ».
Et le principe qui disparaît dans l’affaire c’est : « Tu ne tueras
point. »
Et Hitler ?
Hitler ? C’était un individu. Ils faisaient tous ce que
Hitler leur disait de faire. Que font tous les prisonniers ? Ils font ce
que leur dit le directeur. Le seul pouvoir qu’Hitler ait jamais eu c’est celui
que le peuple lui a donné. J’avais l’impression que le monde entier était
devenu complètement fou, dément. Ils étaient amoureux de la guerre.
Depuis la guerre du Viêt-Nam, les gens comprennent beaucoup mieux
l’insoumission. Ils ont évolué. Au Viêt-Nam ils ont vraiment vu ce qu’était la
guerre. Au bout de dix ans, ils étaient parfaitement écœurés. Ça ne rimait à
rien. Et pour moi la première et la seconde guerre mondiale n’avaient pas plus
de rime ni de raison qu’aucune autre guerre.
Ted Allenby
Ted Allenby est journaliste à Gay Life, un
hebdomadaire de Chicago. « J’étais chez moi, à Dubuque, dans l’Iowa, j’écoutais
à la radio l’orchestre philharmonique de New York interpréter la première
symphonie de Brahms, sous la direction de John Barbirolli. Le présentateur a
interrompu le concert pour annoncer que Pearl Harbor venait d’être bombardé. J’avais
dix-sept ans.
« Dubuque est une ville où la religion tient une
place très importante. Hétéros ou homos, nous y vivions tous dans un carcan, dans
une atmosphère imprégnée d’une grande étroitesse d’esprit. J’ai longtemps
ignoré que j’étais homosexuel, mais je savais que j’étais différent.
« C’était une ville très patriote, donc moi aussi je
l’étais. J’ai immédiatement voulu m’engager mais j’étais trop jeune. Je me suis
engagé en décembre 42, après mes dix-huit ans. »
Je me suis engagé dans les marines, ce qui était en fait en
relation directe avec mon homosexualité. Vers quinze, seize ans j’ai fait une
découverte. Mon père était pharmacien, et dans son magasin il y avait toutes
sortes de fioles dont certaines portaient une tête de mort. Pour moi c’était un
peu comme l’étiquette « homosexuel », je porterais une tête de mort
et personne ne saurait rien. C’est mal, c’est un poison, c’est une maladie, c’est
mon vilain petit secret.
Comment s’en accommode-t-on ? On s’en accommode en
essayant de montrer qu’on est costaud. Après tout, les homosexuels ne sont rien
d’autre que des folles et des tantes. Vous n’êtes pas un homme. Vous n’êtes ni
du sexe masculin ni du sexe féminin, vous n’êtes rien. C’est pour cette raison
que j’ai choisi les marines. C’est l’unité la plus dure. À force de dire
partout que dans les marines on faisait de vous un homme, c’était devenu un
slogan. On y croyait. C’est un corps d’élite, et il faut vraiment en vouloir.
C’est à Des Moines que j’ai prêté serment, et on m’a envoyé
rejoindre un détachement de marines, une unité de formation d’officiers de l’US
Navy, à l’université Denison dans l’Ohio. Mais moi je ne voulais pas me
retrouver sur les bancs d’une école, je voulais me battre.
Pour diverses raisons, je me sentais très agressif. Comme
tous les autres jeunes Américains j’étais superpatriote, et comme j’étais
homosexuel il fallait tout le temps que
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