La bonne guerre
voulaient pas partir.
Mon souvenir le plus marquant remonte à un jour du printemps
1918. Mon père était fermier, il s’était cassé la rotule et était complètement
immobilisé. Ce jour-là on a vu apparaître, de tous les coins de l’horizon, des
attelages de chevaux équipés de charrues et de semoirs. Ils étaient conduits
par des gens que mon père avait exemptés de service. En quarante-huit heures, toutes
nos terres avaient été ensemencées. Ils avaient voulu nous faire la surprise.
Du fait de cette éducation mon opinion sur la guerre était
bien moins enthousiaste que celle de bien des gens de ma génération. J’ai admis
la nécessité de la seconde guerre mondiale. J’étais même, dans l’ensemble, plutôt
content que nous y participions. J’étais allé en Allemagne en 1937 et en 1938, et
la nature du régime de Hitler ne faisait aucun doute. Avec Pearl Harbor, le
Japon avait montré son vrai visage. Il n’empêche que le choc que j’ai ressenti
en voyant l’horrible dévastation que laissent les attaques aériennes est resté
très présent en moi.
Eddie Costello et Ursula
Bender
Il a été journaliste pendant presque toute sa vie
professionnelle. Il a maintenant beaucoup ralenti ses activités. Depuis quelle
est arrivée d’Allemagne, elle travaille dans une maison d’édition.
Ils se connaissent depuis plusieurs années, mais c’est la
première fois qu’ils parlent d’une ville qu’ils ont tous les deux connue :
Francfort. Elle y habitait, lui l’a bombardée.
Eddie : Pour
moi, la seconde guerre mondiale ç’a vraiment été une saloperie. Pour moi, la seconde
guerre mondiale ç’a été quatre années de diarrhée nerveuse. Pour moi, la
seconde guerre mondiale ça me donne la possibilité d’y réfléchir après coup et
de raconter des histoires : je prends les faits, je les grossis et je les
embellis, et après je me sens un peu moins coupable, même si je ne me
transforme pas complètement en héros.
À dix-sept ans, j’étais un adolescent patriote, c’est comme
ça que tout a commencé. J’approuvais tout ce que disait mon Président. Juste
avant de m’engager dans la marine, j’ai travaillé dans une usine d’armement. J’avais
menti sur mon âge, j’avais dit seize ans au lieu de quatorze. Je travaillais à
la fabrication de canons de mitrailleuses. 1938, 1939, 1941. Tout cela est très
vague dans mon esprit maintenant. Et c’est très bien comme ça. Quand l’atmosphère
a commencé à s’enfiévrer au tout début de la guerre, le patron a envoyé des
balayeurs inscrire à la peinture jaune sur tous les sols de béton de l’usine :
FAITES-LES VALSER AVEC SMITH & WESSON ou À BAS LES JAPS. Je vous assure que
c’est vrai.
J’étais copilote sur un Catalina. C’était un hydravion. Le
pilote était un vieux de la vieille avec vingt ans d’expérience derrière lui. Il
incarnait pour moi l’image du père. Je l’admirais aveuglément. Une fois, on s’était
posés sur l’eau et j’étais sorti sur l’aile pour réparer un ponton. Le pilote
avait oublié que j’étais sur l’aile. Il a mis le moteur en marche pour manœuvrer
alors que j’étais juste derrière. Projeté de quinze mètres en l’air, j’ai fait
un beau plongeon. Plus tard, je lui ai dit : « Bon, c’est pas grave, tu
avais oublié que j’étais sur l’aile » Cet homme, je lui aurais pardonné n’importe
quoi, parce que je le considérais un peu comme mon père.
Il m’a tellement bien appris à piloter que je suis devenu
meilleur que lui. Je pouvais tirer, naviguer à l’estime, et faire un point très
précis en moins de dix minutes. Mais je buvais beaucoup. J’ai aussi appris à
fréquenter les femmes et à baiser. (Longue pause.) À un moment donné j’ai
commencé à avoir terriblement peur dans les monomoteurs. Une fois, j’étais dans
un monomoteur qui est tombé en panne, et j’ai dû sauter à trois cents mètres d’altitude.
Heureusement mon parachute s’est ouvert. À la suite de ça j’ai décidé de finir
la guerre sur des multimoteurs. C’est comme ça que je me suis retrouvé à faire
des vols de reconnaissance au-dessus du golfe du Mexique, pour repérer les
avions abattus. Ma guerre a été plutôt calme.
La seule chose vraiment excitante que j’aie faite, c’est
quand ma petite amie m’a quitté. Il fallait que je me change les idées. J’avais
une perme de dix jours et j’ai réussi à aller en Angleterre. J’y ai retrouvé
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