La bonne guerre
jours d’affilée pour essayer de grandir d’un centimètre.
Pendant que sa mère l’emmenait en voiture, il est resté allongé sur le siège
arrière. Il est monté sur la toise, il avait juste la taille. Il était pris
dans l’armée de l’air.
Nous sommes arrivés vers une heure du matin. Il neigeait, et
ils nous ont montré un de ces films absolument horribles sur les maladies
vénériennes. Je vous jure que dans le café qu’ils nous ont servi, ils avaient
mis du salpêtre. L’homme chargé de me donner mon pantalon a simplement mesuré
mon tour de taille, et tant pis pour le reste. Celui pour qui le pantalon avait
été fait devait marcher avec des échasses. Ils l’ont raccourci de cinquante
centimètres. Il y avait un jeune GI qui a tout de suite saisi qu’il y avait là
un bon créneau à prendre, il a apporté un nécessaire à couture et il était
justement là quand vous essayiez votre pantalon – (il claque des doigts) – comme
par hasard. Il vous disait : « Pour cinquante cents je te fais la
retouche. » Il se débrouillait à merveille, et après votre pantalon
tombait comme s’il avait été fait pour vous.
Certains des gars étaient originaires des montagnes. Ils ne
savaient ni lire ni écrire. On peut toujours dire qu’ils étaient ignares, mais
quand il s’agissait de fusils, c’était vous qui aviez l’air stupide. Ils les
démontaient, mettaient les pièces dans un sac, posaient le tout par terre, et les
remontaient les yeux bandés. Ils inventaient leurs chansons. Les vers rimaient
et ça avait un sens. J’ai vraiment découvert quelque chose.
À l’école d’élèves officiers j’ai eu une autre expérience
très enrichissante. Nous étions à Fort Sill dans l’Oklahoma. Nous vivions dans
des tentes, huit par tente. J’étais avec sept autres Johnson. Le seul Blanc. Il
fallait tout le temps que ce soit moi qui nettoie la tente. Pas la peine d’essayer
de savoir ce qui se seraitproduit si je ne l’avais pas
fait. J’étais en minorité et, toute leur vie, ils s’étaient fait mener à la baguette.
Etait-ce la première fois que vous vous trouviez avec des
Noirs ?
Il y avait un Noir au lycée avec moi à Portland.
J’ai été affecté comme lieutenant à Camp Gordon en Géorgie, où
je me suis présenté devant le capitaine qui m’a fait rester au garde-à-vous un
temps interminable. Je voyais vaguement qu’il se balançait dans son
rocking-chair, et qu’il me regardait. Il faisait très chaud. La sueur
dégoulinait de mon front, le long de mon nez. Il n’a pas répondu à mon salut. Finalement,
j’ai entendu sa voix dire : « Vous venez du Nord ? » J’ai
répondu : « Non, de l’Ouest. » Il a dit : « Détends-toi,
mon vieux. » Il s’est levé et il est venu me serrer la main.
Après, je me suis retrouvé dans l’artillerie de la 4 e division d’infanterie. Nous étions une unité automotrice, si bien que nous nous
déplacions avec l’infanterie. Nous nous sommes vraiment entraînés de manière
intensive pendant deux ans avant de débarquer en Normandie. Certains d’entre nous
étaient dans l’armée depuis des années. Il a donc fallu que j’apprenne à manier
les pièces d’artillerie aussi bien qu’eux.
Nous nous sommes mis en route pour la Normandie le 3 juin, je
crois, ou le 4. Nous roulions en ligne à l’ombre des arbres. Magnifiques routes
dans la campagne anglaise, bordées d’arbres formant des arches au-dessus de vos
têtes quand vous avancez. Je suis sûr que les Anglais savaient pourquoi nous
étions là, et pourtant rien n’a été ébruité. La Manche était très agitée, alors
nous avons fait demi-tour et sommes revenus sur nos pas.
Le 6 juin au matin, nous sommes partis. Je revois encore ce
matin-là. Qui aurait pu dormir ? La plupart des gars ont joué au poker
toute la nuit. J’avais envie de prendre un bain. Ne me demandez pas pourquoi, je
serais incapable de vous l’expliquer. Bien que ç’ait été contraire au règlement,
j’ai pris une douche.
J’étais sur une péniche de débarquement. Elle faisait cent
mètres de long. À l’avant, il y avait une grande ouverture devant laquelle se
trouvait la rampe rabattable par laquelle les barges à moteur étaient mises à l’eau.
Je me souviens d’être allé sur la partie la plus élevée du bateau pour voir le
panorama qui s’ouvrait devant moi. Je revois encore dans ma tête un de nos
bateaux se faire toucher et se transformer en une
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