La bonne guerre
abattu les trois avions allemands. Tous les trois. Deux
parachutes seulement se sont ouverts. On hurlait, on sautait dans tous les sens :
« Alors, et le troisième parachute ? » De toute évidence, le
type avait été tué. On était impatients de le voir. Ouais, un Allemand. C’est
drôle, vous ne trouvez pas ?
Mon colonel était un excellent instructeur. Il nous a été
très utile. Mais il était incapable de participer aux combats. Bien avant que
nous débarquions, il n’avait déjà plus sa tête à lui. Il avançait en s’appuyant
à son command-car, tellement il était soûl. Il m’a fait signe en bas de la
route : « Pousse-toi de là, pousse-toi de là. »
Alors en bas de la route, j’ai vu, sur ma droite, tous ces
Allemands qui s’étaient fait tuer. Sur ma gauche, il y avait un paysan français
qui traversait un champ avec une vache qu’il essayait de protéger de son corps,
et qu’il menait en lui serrant la tête entre ses bras. Il était revenu
récupérer sa vache pour l’éloigner de ce vacarme et de la mort.
J’ai levé les yeux. Il y avait une maison de deux étages de
l’autre côté de la route, près des bois. Je distinguais la silhouette d’un
jeune Allemand à la fenêtre. J’ai fini de disposer notre artillerie, et avec
deux autres types, nous avons contourné la maison par la droite. Nous avions
des grenades incendiaires, et nous avons mis le feu à la maison. L’Allemand n’a
pas tardé à sortir. C’était mon premier prisonnier. Je lui ai dit :
« Retire tes chaussures. » Il ne comprenait pas, alors je me suis
baissé, et les lui ai retirées. Il avait jeté son fusil. Et il n’y avait rien d’autre
à faire que de lui indiquer de suivre la route. On se fichait complètement de
ce qui pouvait bien lui arriver désormais. Pour lui, la guerre était finie. Tous
ceux qui le rencontreraient sauraient qu’il s’était fait capturer puisqu’il
était en uniforme et pieds nus.
En retournant vers la maison, je suis tombé sur un sergent
parachutiste empêtré dans un arbre dont il ne pouvait descendre. Il avait une
jambe cassée, double fracture, le sang dégoulinait de son pantalon. Une fois
que nous en avons eu fini avec l’Allemand que nous avions envoyé sur la route, nous
avons dégagé ce type. Il était terriblement vexé, parce qu’il était là depuis l’aube,
et avec le choc qu’il avait subi, il n’avait pas pu contrôler ses fonctions
naturelles. Il était tellement mortifié qu’il ne voulait pas que nous
approchions de lui. Nous avons découpé son pantalon, et nous lui avons fait une
toilette complète pour qu’il ne se sente pas humilié par la suite.
J’ai installé ma batterie très calmement. Et on nous a
ordonné de faire feu pour la première fois. Une cible est divisée en 6 400
degrés. Nous sommes tombés à 90 degrés du but. J’espère qu’il est tombé dans la
mer. Nous ne savions jamais où ces obus allaient tomber. J’espère du fond de
mon âme que je n’ai pas blessé de gens qui n’étaient pas mêlés à la guerre.
Ça c’était le premier jour, rien que
le premier jour. Une existence entière en une seule journée.
Je n’ai commencé à avoir peur qu’au bout de trois jours. Quand
nous avons débarqué, nous avions pour mission de nous diriger vers l’ouest pour
remonter jusqu’à Cherbourg afin de tout nettoyer. Après quoi, nous pourrions
avancer à travers la France. Il y avait un vieux château immense. Et nous
avions entendu dire que ses caves étaient pleines de bon vin. Je m’y suis donc
rendu.
Il me fallait traverser une route, et je commençais à
connaître les obus allemands de 88. Vous pouviez dire au bruit quand il y en
avait un pointé sur vous. Quand j’ai entendu ce tchak ! je savais
que c’était pour moi. J’étais en plein milieu de la route. J’ai plongé sous une
haie, et me suis précipité dans les douves, j’étais couvert de vase verdâtre. Ça
m’a coupé tout désir de boire du vin. Je m’en étais sorti. La seule chose qui m’importait
c’était de retourner à ma batterie. J’ai traversé la route en courant pour me
cacher derrière une autre haie. Je n’ai même pas eu le temps d’y arriver qu’il
me tirait encore dessus. Il était en haut d’un clocher et en contact par
téléphone avec un gars au sol. Quand il lui disait « feu », celui d’en
bas actionnait le cordon tire-feu. J’étais leur cible.
Ils étaient très rapides, et terriblement précis.
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