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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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Ils
visaient vraiment très près. J’avais une autre route à traverser. Encore une. Ce
type m’avait suivi tout le long. Il tirait avec une précision effrayante. J’ai
commencé à comprendre que je n’avais aucune chance. J’étais accroupi, et je me
suis mis à courir. Il m’a manqué de justesse, trop bas. J’ai reçu un éclat ici. (Il me montre sa cuisse.) C’est la seule blessure que j’ai eue pendant
la guerre. J’étais tellement gêné que je ne l’ai jamais dit à personne. Parce
que se faire blesser en allant chercher de quoi picoler ! (Il rit.) Quelques
jours plus tard j’ai vraiment compris ce que c’était la peur. Fitzpatrick, un
jeune garçon formidable, traversait un chemin de ferme quand un obus de 88 l’a
touché de plein fouet. Il ne restait plus rien de lui. Son corps avait été
déchiqueté. Quatre-vingt-huit millimètres, un petit howitzer extrêmement
maniable.
    La cinquième nuit que nous avons passée là, nous étions dans
des trous d’homme, dans une situation très confuse. Les Allemands étaient
devant nous et derrière nous. Les Américains de l’autre côté des Allemands. Infanterie
et artillerie étaient côte à côte. Il n’y avait pas d’infanterie en avant. Quand
l’infanterie faisait un mouvement nous emboîtions le pas. Il n’y avait pas de
front bien net. C’était une vraie pagaille.
    Les champs étaient entourés de haies vives, et dans un angle
il y avait une ouverture pour permettre au bétail de passer pour aller boire. Dans
notre champ, il y avait un tireur embusqué dans un de ces coins. Il nous tirait
dessus. À chaque fois que je pointais le bout de mon nez hors du trou, je me
faisais canarder. J’ai appelé deux bons copains par téléphone. On a décidé de l’encercler,
chacun avec une grenade à main. Au moment convenu, on a lancé nos grenades. On
avait fait ce qu’on avait à faire.
    J’évite d’employer des expressions comme « tuer un
homme », parce que j’essaie de ne pas m’impliquer dans ce type d’action. Nous
savions que nous étions en guerre, mais nous savions aussi qu’ils avaient des
familles tout comme nous, qu’il y avait des gens qu’ils aimaient, qu’il y en
avait des bons et des méchants. Notre gouvernement avait fait appel à nous
parce que notre patrie était en danger. Donc nous devions la défendre. Personnellement,
je n’ai jamais fait preuve de cruauté à l’égard des Allemands.
    Nous n’avons eu affaire aux SS qu’une ou deux fois. C’étaient
les troupes d’élite. Ils avaient subi un tel lavage de cerveau qu’il était
impossible de discuter avec eux. Ils me mettaient hors de moi.
    Les Allemands ordinaires, les types que nous faisions
prisonniers, étaient ravis d’être sortis de là. Nous leur enlevions leurs
chaussures, et ils partaient sur la route. Avant de partir, ils revenaient nous
voir pour nous serrer la main ou nous embrasser.
    Il y avait une confusion pas croyable entre Américains et
Allemands. Le deuxième ou le troisième jour, mon ami Ed Bostick, notre
éclaireur, se faisait tirer dessus. Il a sauté dans un fossé sur le bord de la
route. Ce qui l’a sauvé c’est le corps d’un Allemand qu’il a amené sur lui pour
se protéger. Il est resté comme ça pendant des heures jusqu’à ce qu’il se sente
suffisamment en sécurité pour sortir. Quand il nous a rejoints, il m’est tombé
dans les bras. Imaginez par quoi il était passé, se servir d’un mort comme
bouclier.
    Je suis retourné dans mon trou d’homme et d’un seul coup j’ai
eu un coup de barre terrible. Il devait être à peu près une heure et demie du
matin, et j’étais de garde jusqu’à deux heures. Ed devait venir me relever. Je
tombais de sommeil. J’étais au bout du rouleau.
    Nous ne tournions jamais les manivelles de nos téléphones, et
ne les faisions jamais sonner. Quand vous étiez officier – et c’était pareil
pour les sous-officiers les plus gradés – vous dormiez avec vos écouteurs sur
les oreilles. Au lieu de sonner ou de parler, on sifflait tout doucement, et ça
suffisait pour nous réveiller d’un sommeil profond. La voix m’a dit :
« Oui, El », j’ai dit : « Tu peux me relever ? Je n’en
peux plus. » Il m’a dit : « J’arrive. » Il s’est dirigé
vers l’endroit où je me trouvais, et je ne sais pas pourquoi il s’est mis à
siffloter. Je ne le saurai jamais. Un de nos jeunes artilleurs avait dû s’endormir.
Le sifflement l’a réveillé.

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